L’Islam, un arianisme qui a réussi ?
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La conférence de George André Morin
au colloque "Tolérance et Laïcité" de Clermont de l’Oise
des 2 et 3 décembre 2016
8ème colloque - LP60
L’islam un arianisme qui a réussi ?
Par Georges-André Morin
Tout d’abord une précision, les « ariens », c’est-à -dire les partisans des thèses d’Arius, n’ont rien à voir avec les « aryens » thèmes de théories racistes aussi fumeuses que dangereuses qui ont ensanglanté le XXe siècle. La différence portant sur un « i » et non un « y », l’usage de l’anglicisme « arianistes », permet d’éviter toute confusion. Pour préparer cet exposé j’ai eu la curiosité de me reporter à mon vieux « Mallet-Isaac » de 5e précautionneusement conservé, pour y lire, page 183 « organisation de l’Eglise chrétienne » :
- « Lorsqu’il s’agissait de discuter des questions importantes touchant à la religion chrétienne, les évêques se réunissaient en assemblées appelées conciles. Le concile le plus important au IVe fut le concile de Nicée, convoqué par l’empereur Constantin dans cette ville d’Asie mineure en 325 ».
Et là , renvoi à une note de bas de page ainsi rédigée :
- « Un prêtre d’Alexandrie, Arius, avait affirmé au sujet de Jésus-Christ des théories que certains évêques avaient adoptées et que d’autres avaient repoussées. Le concile de Nicée fut chargé de décider quelle était l’orthodoxie (c’est-à -dire la doctrine exacte) et quelle était l’hérésie (c’est-à -dire la doctrine fausse). Il condamne la doctrine d’Arius comme hérétique. »
Vous noterez à la fois un certain flou sur les modalités de convocation des conciles, en fait une prérogative de l’empereur, et que vous ne savez toujours rien sur la doctrine d’Arius. Plus loin encore, page 202, « description de l’Occident en 500 après J.-C. » le manuel relève :
- « En réalité la domination des Wisigoths, comme celle des Vandales et des Ostrogoths, était moins solide qu’il ne paraissait. Ces trois peuples s’étaient convertis au christianisme, mais au christianisme arien. Ils étaient donc des hérétiques aux yeux des évêques. Dans le désordre des grandes invasions, les évêques étaient devenus les personnages les plus importants et les plus écoutés. Les avoir contre soi s’était se condamner à un échec. Ils étaient prêts au contraire à aider le premier prince barbare qui prendrait leur parti contre les ariens. »
1/ La thèse d’Arius
Dans sa guerre finale contre Licinius, (déjà contre Maxence), le rapprochement de Constantin et des chrétiens paraît avoir joué un rôle. Mieux implantés en Orient, ils constituaient un appoint utile. Constantin passe donc progressivement du « Sol invictus » au Dieu des chrétiens. Peu après sa victoire finale sur Licinius, il souhaite dans une logique politique évidente, mettre un terme aux querelles théologiques qui divisent les chrétiens.
Dans la plupart des cas, ces multiples hérésies ou schismes ont un caractère et un effet seulement régional. Mais la thèse d’Arius, un prêtre d’Alexandrie, pose un problème majeur. Il s’agit de l’affirmation, simple, sinon évidente, du principe de l’unicité stricte de Dieu, qui conduit à la question de la nature divine ou non du Christ. À partir du moment où la divinité du Christ est incontestable, l’unicité de Dieu conduit à cette question : le Christ a-t-il été créé par Dieu ou était-il Dieu lui-même. La thèse d’Arius selon laquelle la préexistence du Christ n’empêche pas qu’il ait été créé, fut présentée par ses adversaires comme portant atteinte à sa divinité, ce qui. Les subtiles tentatives de conciliation achoppèrent au final sur le point de savoir si Jésus était de même nature ou de même substance que Dieu. Il a été relevé qu’en grec les deux mots ne diffèrent que d’un iota souscrit ! Déjà la lettre « i » ! Mais le strict principe de l’unicité de Dieu a l’avantage d’une compréhension plus aisée. Ce que l’on retrouve aussi bien dans le judaïsme que dans l’Islam. Le Coran réaffirme l’unicité de Dieu dans de nombreux versets, par exemple : « Il n’y a de Dieu que Dieu », Sourate III, verset 62, « Il n’y a de Dieu que lui », Sourate II, verset 255 et Sourate III, verset 18 et enfin « Votre Dieu est un Dieu unique ! Il n’y a de Dieu que lui », Sourate II, verset 163. Puis pour être encore plus clair : « Oui, il en est de Jésus comme d’Adam auprès de Dieu, Dieu l’a créé de terre, puis il lui a dit : « sois », et il est. », Sourate III, verset 59.
Constatant l’effervescence et les disputes du monde chrétien autour des thèses d’Arius, Constantin décide de faire trancher la question par la réunion en mai 325, dans son palais de Nicée, du premier concile Å“cuménique (puisque rassemblant tous les évêques de la chrétienté). Il préside la séance d’ouverture, avec à ses côtés l’évêque Osius de Cordoue qui a la direction effective des débats. Après quelques semaines, le concile décide, à une large majorité, notamment sous l’influence des évêques d’Occident, que le Fils consubstantiel au Père, avait été (tout au plus) « engendré, mais non créé », donc préexistait de toute éternité.
2/ Le césaro-papisme, un euphémisme pour l’arianisme politique
Cela étant, la décision du concile ne met pas un terme aux débats. Sozomène écrit dans son Histoire ecclésiastique, (L.II.21.7) « Tout cela était extrêmement pénible à l’empereur, car il avait pensé que ces sortes de disputes prendraient fin avec le concile de Nicée, et contre son attente, il les voyait suscitées de nouveau ». Le débat entre arianistes et nicéens va durer des siècles et avoir des conséquences politiques considérables au IVe siècle. Ces débats « christologiques » vont persister au Ve siècle et bien au-delà , voire jusqu’à nos jours.
Surtout, de nombreux historiens occultent avec habileté, le plus souvent par omission, le fait que peu après le concile de Nicée Constantin a adhéré aux thèses arianistes. Si personne ne conteste qu’un un évêque arianiste l’a baptisé sur son lit de mort, ce fait est présenté de façon anodine et circonstancielle : au moment où, en mai 337, Constantin mourant décide de se faire baptiser, par une sorte de hasard malencontreux, un évêque arianiste passait par là ... Cet évêque, Eusèbe de Nicomédie, était auprès de lui depuis 326, date de son retour aux thèses arianistes. Constantin, militaire et administrateur, n’est pas un théologien. Le dogme de la Trinité lui a été présenté comme une sorte de « Triarchie » divine qui constituerait au Royaume des Cieux un fâcheux rappel de la calamiteuse tétrarchie. « L’unité politique est comme le pendant de l’unité divine, et l’on a remarqué que cette conception politico-religieuse d‘Eusèbe, sinon de Constantin, trouvait sa cohérence dans la doctrine d’Arius qui insiste plus que le catholicisme, sur l’unité divine qui s’exprime dans le père » rappelle l’historien André Chastagnol, dans son ouvrage Le Bas-Empire. Face à ces mauvais souvenirs terrestres l’arianisme apporte une réponse simple. La relation biunivoque entre Dieu au ciel et l’Empereur sur terre, implique une unité stricte au ciel pour qu’il en soit de même sur terre. À un Dieu non seulement unique mais un, ne peut correspondre qu’un seul empereur. Les fantômes honnis de la tétrarchie sont définitivement écartés pour la satisfaction des premiers empereurs chrétiens.
Eusèbe de Césarée, principal conseiller de Constantin, expose avec clarté cette interprétation politique de l’arianisme : « le roi aimé de Dieu, portant l’image de la royauté d’en haut, tient le gouvernail et dirige, à l’imitation du Tout-Puissant, tout ce qui est sur Terre ». « L’un, le Sauveur commun de l’univers, par une puissance invisible et divine, tient à distance de ses brebis, comme le fait un bon pasteur, des puissances rebelles qui, volant dans l’air au-dessus de la terre, se jetaient sur les âmes des hommes, telles des bêtes sauvages ; l’autre, aimé de Lui, voué d’en haut par Lui, des trophées remportés contre les ennemis, soumet par la loi de la guerre les ennemis publics de la vérité et les rend sages ». Ce même texte souligne, par un providentialisme satisfait, l’heureuse coïncidence entre les débuts de l’Empire et ceux du christianisme, dont le vaste Empire facilite la diffusion. Il donne en outre un fondement biblique à la monarchie en citant l’Ancien Testament (Daniel, 7, 18), « et les saints du Très-Haut recevront la royauté ». Ce texte figure dans les Louanges de Constantin (§I, 6), réédité en 2001, aux éditions du Cerf, sous le titre : la théologie politique de l’Empire chrétien. L’adhésion de Constantin à l’arianisme reste encore aujourd’hui pour certains, un sujet suffisamment sensible pour que ce texte soit présenté sous un autre titre que le sien et emballé de commentaires beaucoup plus volumineux que le texte lui-même : un beau rideau de fumée… Il s’agit du discours prononcé par Eusèbe de Césarée en 336 pour la célébration des trente ans de l’avènement de Constantin, nous laisseront à Photius, patriarche de Constantinople au Xe siècle, le soin d’apprécier les convictions religieuses d’Eusèbe de Césarée : « Sur l’hérésie arienne, il ne dit rien de net... il ne veut pas mettre Arius en cause... il ne met rien en lumière de tous ces faits », (« Bibliothèque » de Photius, tome II, p. 100, éd. Les Belles-Lettres).
La succession de Constantin, premier Empereur chrétien, se règle par un bain de sang, assez peu conforme aux préceptes des Évangiles. En septembre 337, dans un patriotique souci de simplification successorale, peut-être inspiré par le ou les bénéficiaires de l’opération (les trois fils de Constantin, mais Constance II est généralement considéré comme l’inspirateur) l’armée procède à un élagage brutal de l’arbre généalogique de la famille de Constantin, en massacrant ses trois demi-frères et leurs fils à l’exception des enfants encore jeunes de Julius-Constance, Gallus et Julien. L’Empire est alors partagé entre Constant, Constantin II et Constance II, sur la base des trois préfectures du prétoire créées et délimitées par leur père. Après quelques péripéties, Constantin II meurt en 339 dans une expédition militaire contre son frère Constant. Celui-ci annexe ses États, mais est tué à son tour en 350 lors de l’usurpation de Magnence en Occident. Après avoir vaincu celui-ci, Constance II règne seul. Sous son règne, le pouvoir politique exerce une forte emprise sur les affaires religieuses, le césaro-papisme, euphémisme pour ne pas parler d’arianisme politique. L’empereur, représentant de Dieu sur terre, est le chef suprême de l’Église. Constance II l’exprime avec force. Il convoque les conciles. Il va au de-là de l’adhésion personnelle de son père aux thèses d’Arius ; il les soutient activement, allant jusqu’à l’intolérance ouverte à l’égard des nicéens. Ainsi, lors de son séjour à Rome en 353, il n’hésite pas à exiler tous les évêques d’Italie, et à remplacer Libère, évêque de Rome, par un arianiste, Félix (II). La liste des évêques d’Italie exilés, telle que donnée par les contemporains ne marque alors aucune primauté de l’évêque de Rome. Enfin, Constance II envoie l’évêque arianiste Ulfila évangéliser les barbares. Deux pôles de résistance à l’arianisme subsistent cependant, le premier en Égypte, avec Athanase, le second en Gaule avec Hilaire de Poitiers
Constance II meurt en novembre 361, au moment où son cousin Julien se révolte contre lui. N’ayant pas d’enfants il a, sur son lit de mort, le méritoire souci dynastique de désigner pour successeur, le rebelle Julien.
3/ L’effet paradoxal de la tentative de Julien de retour à la religion traditionnelle
Le règne bref de Julien, moins de deux ans, est célèbre pour sa tentative de restauration de la religion traditionnelle. Par un curieux paradoxe, l’“ Apostat ” Julien, en rétablissant la liberté de culte, sauve les Nicéens qui se gardent bien de lui reconnaître ce mérite. Ses commentaires religieux sont, il est vrai, d’une ironie cinglante et condescendante, difficile à pardonner pour ceux qui en sont l’objet. En outre, il ne cache pas ses arrière-pensées en rétablissant la liberté religieuse, car « il savait par expérience qu’il n’est pas de bêtes sauvages plus ennemies des hommes que le sont la plupart du temps les chrétiens, animés par des haines mortelles ». Cette arrière-pensée affichée fait que certains auteurs chrétiens assimilent le retour à la liberté religieuse sous le règne de Julien à une nouvelle persécution, la onzième !
Les contemporains avaient très tôt remarqué, sinon souligné, que dès l’instant où les chrétiens ont cessé d’être persécutés, ils sont volontiers devenus persécuteurs. Ceux-ci ont immédiatement ouvert deux fronts, un front externe contre les religions traditionnelles, visant à leur disparition pure et simple et un front interne, à multiples facettes composées de ces infinies variantes interprétatives du message évangélique.
Les successeurs de Julien, Jovien puis Valentinien et Valens, derechef chrétiens, rétablissent ceux-ci dans leur position antérieure, sans intervenir dans les débats internes, à l’exception de Valens qui adhère ouvertement aux thèses d’Arius.
4/ La religion catholique devient religion d’État
Dans un premier temps, l’initiative en matière de législation religieuse vient de Gratien qui succède à son père Valentinien Ier en 375. La position personnelle de Théodose associé à l’empire après la mort de Valens sur le champ de bataille d’Andrinople en 378 n’apparaît pas tout de suite. Néanmoins, il est sûr qu’il n’a jamais porté le titre de « Grand Pontife ». Jusqu’alors les empereurs chrétiens avaient conservé leur fonction de « Grand Pontife » qui les consacrait chefs de la religion traditionnelle. Gratien est le premier à avoir refusé d’exercer cette fonction. Lors de sa visite à Rome en 379, il avait repoussé les insignes et la tenue de « Grand Pontife » qui lui avaient été présentés. Au cours de cette même visite à Rome, il fait enlever de la salle des séances du Sénat, la statue de la déesse des Victoires, déjà retirée lors de la venue à Rome de Constance II en 352, mais rétablie par Julien.
Par la loi du 28 février 380, adressée depuis Thessalonique au peuple de Constantinople, Théodose va plus loin que la simple reprise des dispositions promulguées par Gratien le 20 août 379. Il décrète la religion catholique seule religion d’État : « C’est Notre volonté que tous les peuples qui sont soumis à l’administration de Notre Clémence pratiquent la religion que le divin Apôtre Pierre a transmise aux Romains... la religion qui est suivie par le Pontife Damase et Pierre évêque d’Alexandrie... nous croirons en la seule Divinité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, sous la notion d’égale majesté et de Sainte Trinité... Nous commandons que les personnes qui suivent cette règle embrassent le nom de Chrétiens Catholiques ». Ici, le mot « catholique » doit être pris dans son sens originel, « universel ». Cette loi est codifiée en 16.1.2. soit en tête du livre XVI du code théodosien, qui regroupe les lois religieuses. Elle est la première loi, 1.1.1., du Code Justinien qui en reprend exactement les termes. Vers la fin de 380, Théodose remis d’une grave maladie se fait baptiser dans la religion catholique par l’évêque de Thessalonique. Peu après, fin novembre, il fait son entrée triomphale à Constantinople. Pour mettre de l’ordre dans les disputes qui persistaient au sein de l’Église, il convoque à Constantinople au mois de mai 381 le deuxième concile Å“cuménique qui confirme celui de Nicée et la loi de février 380. Le Père et le Fils sont donc bien consubstantiels.
De l’intérêt politique du dogme de Nicée
Au début de 383, Théodose se sent assez solide sur son trône pour décider seul de la dévolution future de sa succession. Lors de l’entrée dans la cinquième année de son règne, il procède à la proclamation unilatérale de son fils Arcadius, alors âgé de six ans, comme empereur associé, avec le titre d’Auguste, sans en demander la permission à Gratien. Puisque Arcadius tient sa couronne de Dieu, à quoi bon demander l’accord de Gratien ?
Une anecdote illustre cette interprétation politique du dogme de Nicée. Lors d’une audience, l’évêque d’Iconium (aujourd’hui Konya, en Cappadoce), aurait volontairement montré une familiarité déplacée à l’égard de l’impérial enfant. Au moment où il va être brutalement expulsé de la salle d’audience, il déclare à l’Empereur « Tel est le traitement que le roi du ciel réserve aux hommes impies qui feignent d’adorer le Père en refusant de reconnaître la majesté divine et égale de son fils ». Théodose comprit immédiatement la portée politique de cette leçon nicéenne et « il embrassa tendrement l’évêque ». La légitimité du pouvoir politique se fonde sur une transposition terrestre du royaume de Dieu. Dans une telle relation biunivoque, le principe nicéen, plus complexe, paraît moins fort que l’unicité stricte de l’arianisme, mais il offre l’avantage considérable de justifier la transmission du pouvoir de père en fils. L’hérédité monarchique est ainsi fondée, puisque la dignité impériale est acquise au successeur avant même qu’il ne soit conçu. Désormais les droits que les rois tiennent de Dieu sont acquis et transmissibles dans leur famille en toute circonstance.
En faisant du seul christianisme nicéen, la religion catholique, la religion officielle de l’Empire, Théodose prend une décision politique fondamentale. Il est ainsi l’inventeur de la monarchie héréditaire de droit divin telle qu’elle va fonctionner en Europe pendant un peu plus de douze siècles. Cette politique du fait accompli est accompagnée d’une émission considérable de petite monnaie divisionnaire où l’enfant-empereur apparaît, couronné d’un diadème tenu par la main de Dieu, qui en l’occurrence sort du bord de la pièce. Cette représentation de la « main de « Dieu » apparaît en Egypte au moment de la tentative d’Akhenaton ; elle est fréquente dans les synagogues de l’Antiquité. Ainsi, Arcadius “ a deo coronatus ” « couronné de la main de Dieu » est le premier bénéficiaire de la monarchie héréditaire de droit divin, système politique voué à une longue postérité.
5/ Romains catholiques et Barbares arianistes
Enfin, et ce point n’est pas assez souligné, les volte-face religieuses au sommet de l’Empire ont une conséquence inattendue. Les barbares, évangélisés dans l’arianisme par un Empire qui penchaient alors pour ces thèses, envahissent deux générations plus tard un Empire revenu au dogme de la Trinité ; ils se croyaient bons chrétiens, ils sont hérétiques ; c’est pour le moins un facteur qui gêne leur intégration dans l’Empire.
Quand en Occident la « superstructure » impériale disparaît en 476, trois royaumes arianistes émergent :
- Les Vandales qui tiennent l’Afrique du nord depuis 430 et surtout 455,
- Les Wisigoths qui contrôlent l’Espagne et un très grand Sud-Ouest de la Gaule, jusqu’à la Loire et au Rhône
- Et enfin Odoacre qui se proclame roi d’Italie.
Le reste de la Gaule se partage entre une zone encore romaine, un royaume burgonde au Sud-Est qui penche vers le catholicisme, l’extrémité de l’Armorique qui accueille des réfugiés de l’île de Bretagne et un petit royaume encore païen, les francs.
Le pouvoir très catholique de Constantinople applique la technique du salami. L’empereur d’Orient, Zénon, fait d’une pierre deux coups en se débarrassant des Ostrogoths qu’il oriente vers l’Italie. Leur chef, Théodoric, vient à bout d’Odoacre dont il obtient la reddition en 493 contre promesse de vie sauve non tenue ; il le tue de sa main à la fin d’un banquet. Ce début un peu brutal n’enlève rien aux mérites du règne glorieux qui suit. Cela étant Théodoric est arianiste, et la reconquête de l’Italie par Constantinople sous Justinien au milieu du VIe siècle s’avérera difficile. Pensée émue pour des évêques de Rome sujets d’un roi arianiste, libérés par les troupes d’Orient…
En Gaule, le dernier morceau romain est abandonné au roi des Francs Clovis qui se converti à la religion catholique sous l’influence de son épouse Clotilde, princesse burgonde. Clovis est alors suffisamment puissant pour se tourner contre les Wisigoths, les battre près de Poitiers en 507, et réunifier une Gaule catholique à son profit. Comme il a bien mérité de l’Empire l’empereur Anastase le nomme consul honoraire en 508.
Repoussé au-delà des Pyrénées, le royaume wisigoth résiste assez bien aux tentatives de reconquête de l’Espagne par Justinien qui ne font que l’écorner. En 589, le roi Récarède renonce à l’arianisme pour le catholicisme.
En Afrique du nord, le vieux roi Genséric ne survit que quelques mois à l’Empire d’Occident dont pendant un règne d’un demi-siècle il fut avec une habileté et aussi une chance étonnante, le plus tenace et le plus redoutable adversaire. Il meurt à quatre-vingt-sept ans en janvier 477. Son fils Hunéric, le “ gendre ” de l’empereur romain Valentinien III, lui succède pour une dizaine d’années, suivi de ses frères. Son fils Hildéric, roi des Vandales de 521 à 530 règne avec mollesse et modération, en particulier en matière religieuse, ce qui lui vaut d’être déposé, puis assassiné. Le “ légitimisme théodosien ” offre alors un prétexte à Justinien pour en finir avec le royaume Vandale, qui s’effondre au terme d’une campagne militaire de trois semaines conduite avec un corps expéditionnaire de cinq mille hommes. L’extraordinaire fragilité du système mis en place par Genséric pour l’occupation de la province d’Afrique, se vérifie donc a posteriori.
Donc à la fin du VIe siècle l’arianisme politique est éliminé au profit du catholicisme.
6/ Les catholiques d’Orient et les querelles religieuses
En Orient, le pouvoir impérial intact est bien évidemment parfaitement intolérant, mais les débats se poursuivent, sapant sournoisement les bases de l’Empire. La question de l’arianisme persiste, la réflexion christologique cherche à en finir avec l’arianisme. Le pouvoir impérial s’avance à deux reprises pour soutenir des tentatives que l’évêque de Rome considère non moins hérétiques. On pourrait dire, par rapport à l’arianisme, des hérésies inverses :
- d’abord, les thèses de Nestorius,
- ensuite celles d’Eutychès, ces dernières sont mathématiquement de bon sens : si le Christ est à la fois Dieu et homme, sa nature humaine doit s’effacer devant sa nature divine, c’est le monophysisme, le Christ n’aurait en fait qu’une nature, sa nature divine. Malgré leur condamnation, ces dernières thèses persistent en Égypte, c’est l’Église copte. Il en résulte une difficulté permanente entre le gouvernement central de Constantinople et cette province.
Pendant le VIe siècle la situation de la Mer rouge est troublée par un conflit entre le royaume chrétien d’Axoum, l’Ethiopie d’aujourd’hui, et un royaume juif sur une partie du Yémen actuel. Le commerce entre l’Inde et l’Empire d’Orient fait alors la fortune des caravaniers, qui traversent la péninsule Arabe. Ceux-ci sont donc en contact avec le judaïsme et avec des chrétiens dominés par les catholiques, mais chez lesquels subsiste un substrat arianiste.
Dire que l’Islam est un néo-arianisme, ou une motion de synthèse est tentant. Certes, rien ne prouve que Mahomet ait étudié les débats théologiques entre chrétiens, on est peut-être en présence d’un simple phénomène de convergence, du moins pour l’émergence initiale de l’Islam. Par contre son extension rapide sur la rive sud de la Méditerranée, puis en Espagne correspond exactement aux régions où l’arianisme fut dominant ; ce passé religieux explique parfaitement le bon accueil fait par des populations restées arianistes à cette nouvelle religion.
Pour conclure, je ferai appel à un théologien catholique, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny au début du XIIe siècle. Certes, ce n’est pas tout à fait un saint, mais seulement un « bienheureux ». Lors d’une audience générale le 14 octobre 2009, Ratzinger-Benoît XVI l’a évoqué en ces termes,
"Exemple admirable d’ascèse avec lui-même et compréhensif avec les autres. Il manifestait aussi son attention et sa sollicitude pour ceux, aussi, qui se trouvaient en dehors de l’Église, en particulier les juifs et les musulmans. Pour mieux les connaître, il fit traduire le Coran".
En effet, cinq siècles après Mahomet, et plusieurs décennies après le commencement des croisades, Pierre de Cluny s’indigne de l’ignorance des Latins. Comment combattre ce que l’on ne connaît pas ? Peut-on se contenter des attaques simplistes et des amalgames injurieux pour stigmatiser Mahomet ? L’abbé de Cluny décide alors de commander la première traduction en latin du Coran. A l’occasion d’un voyage en Espagne, il rencontre les quatre traducteurs, Robert de Ketton (un anglais), Hermann de Dalmatie, Pierre de Tolède, un Sarrasin du nom de Mohammed. La traduction est achevée en 1142, ce sera jusqu’au XVIe siècle la seule traduction du Coran en latin. Par-delà la légende selon laquelle Pierre lisant le coran se serait écrié : « Mais c’est Arius ! », il constate le lien évident avec Arius et en déduit que si Mahomet est une créature de l’antéchrist (dans le contexte de l’époque il ne pouvait pas dire moins), l’Islam n’est pas une idolâtrie, mais une hérésie chrétienne, ce qui est un moindre mal.
Le monothéisme strict d’Arius a pour lui le mérite de la simplicité. Aussi cette interprétation du christianisme garde-t-elle des adeptes inconscients se croyant de bons chrétiens. Comme le note Laurent Dispot dans un article publié dans « Libération » le 17 avril 1996 « Clovis et les clovicieux » :
- « Leur conception du christianisme n’est pas celle de la Trinité, mais d’une grandeur incommensurable du Père, par rapport à laquelle le Fils n’est « qu »’un prophète créé par lui, et créateur à son tour de l’Esprit. Vision monothéiste stricte, si peu illégitime qu’elle vient du judaïsme et qu’elle resurgira avec l’islam ».
Un exemple illustre mérite d’être cité qui parlera à nombre d’entre nous : Newton avait constaté que les documents révélés ne donnaient aucun support aux doctrines de la Trinité qui étaient dues à des falsifications tardives. Pour lui le Dieu révélé était unique.
Pour conclure, il est important de souligner le lien entre les trois religions du « Livre » et le fait que l’Islam procède d’une hérésie chrétienne du début du IVe siècle, l’hérésie d’Arius, car cela montre qu’il n’y a rien qui justifie une diabolisation de cette religion, par rapport aux autres. Il n’y a pas de spécificité de l’Islam en matière d’intolérance. L’histoire montre simplement que les religions monothéistes dès que les circonstances le permettent sont toujours prêtes à l’ingérence politique et de ce point de vue-là l’islam ne fait pas mieux que les autres. De fait, le discours anti-islamisme cache le plus souvent des tentatives de milieux chrétiens de remettre en cause les principes de laïcité.