Han Ryner et Henri Barbusse, crivains connus mconnus
par
popularité : 100%
l’invitation de la Librairie La Renaissance de Creil et de la fdration de la Libre Pense de l’Oise, Pierre Yves Ruff, crivain diteur, est venu prsenter ses livres et plus particulirement deux crivains autrefois trs connus et actuellement un peu oublis. Merci lui d’avoir accept de nous confier le texte de sa confrence pour les absents excuss...
Deux écrivains connus et méconnus
Henri Barbusse et Han Ryner
En parcourant des textes littéraires, j’ai été fortement intrigué, par la manière dont la figure de Jésus était souvent présente, chez des auteurs fort peu suspects de sympathie envers le christianisme.
Parmi eux, nous rencontrons Henri Barbusse. En voyant le nom de la rue, j’ai songé au thème de ce jour.
Je vous propose un parcours en trois temps. Dans le premier, je parlerai du lien entre la littérature et la guerre. Elle devient, à proprement parler, un motif littéraire.
Dans un deuxième temps, j’évoquerai la mutation, au XIXe siècle, de la figure de Jésus, et vous verrez que nous rencontrerons des noms assez inattendus.
Dans un troisième temps, j’aborderai certains écrits de Barbusse et Ryner. Je conclurai en vous lisant quelques extraits.
Mais je commence par la guerre. Quand elle arrive, la réaction des écrivains n’est pas très différente de celle de leurs contemporains. Beaucoup rejoignent l’Union sacrée. Henri Barbusse en est un bon exemple. Militant pacifiste, il décide de rejoindre le front. Il est pourtant âgé de 41 ans. Sa santé est fragile. C’est donc un choix pleinement volontaire.
Guillaume Apollinaire, de la même façon, sera engagé volontaire. À cette fin, il multipliera les démarches. En 1914, il n’était pas encore Français. Il était Polonais. Il devra patienter quelques mois, avant que d’être naturalisé, et de pouvoir découvrir les tranchées.
D’autres auteurs auront une autre approche. Han Ryner, à ma connaissance, retera fidèle à sa ligne. Elle consiste à dire : si l’on t’oblige à porter l’uniforme, accepte-le. Il est tout extérieur. Si l’on te donne l’ordre de tirer, ne le fais pas.
Enfin, quelques auteurs, plus rares, feront le choix de déserter. Ce sera par exemple le cas de Manuel Devaldès. Il s’en explique, notamment, dans son ouvrage intitulé les Contes d’un rebelle.
La guerre de 14 va marquer un tournant dans la littérature. Elle est particulière, car elle est immobile. Jusque-là, les récits de conquête étaient en quelque sorte des récits de voyages. À présent, ce n’est pas le cas.
Henri Barbusse, dans Le Feu, en fera une évocation saisissante, avec des scènes de cauchemar. Ce livre lui vaudra le Prix Goncourt, en 1916. De façon significative, son réalisme dans l’horreur lui vaudra l’enthousiasme de ses compagnons de tranchée, mais aussi la réprobation de celles et ceux qui ne connaissent pas la réalité de la guerre.
Engagé volontaire, Barbusse n’en demeure pas moins fidèle à ses idées. Le premier chapitre du livre, intitulé “La Vision” en témoigne. Je vous en lis la fin :
“Mais les contemplateurs, placés au seuil du monde, lavés des passions des partis, délivrés des notions acquises, des aveuglements, de l’emprise des traditions, éprouvent vaguement la simplicité des choses et les possibilités béantes…
“Celui qui est au bout de la rangée s’écrit :
– On voit, en bas, des choses qui rampent.
– Oui… c’est comme des choses vivantes.
– Des espèces de plantes…
– Des espères d’hommes.
“Voilà que dans les lueurs sinistres de l’orage, au-dessous des nuages noirs échevelés, étirés et déployés sur la terre comme de mauvais anges, il leur semble voir s’étendre une grande plaine livide.
Dans leur vision, des formes sortent de la plaine, qui est faite de boue et d’eau, et se cramponnent à la surface du sol, aveuglées et écrasées de fange, comme des naufragés monstrueux. Et il leur semble que ce sont des soldats. La plaine, qui ruisselle, striée de longs canaux parallèles, creusée de trous d’eau, est immense, et ces naufragés qui cherchent à se déterrer d’elle sont une multitude…
Mais les trente millions d’esclaves jetés les uns sur les autres par le crime et l’erreur, dans la guerre et la boue, lèvent leurs faces humaines où germe enfin une volonté. L’avenir est dans les mains des esclaves, et on voit bien que le vieux monde sera enfin changé par l’alliance que bâtiront un jour entre eux ceux dont le nombre et la misère sont infinis.”
Je laisse là la guerre. J’aborde la deuxième partie de mon intervention, qui pourrait s’appeler “Jésus au XIXe siècle”.
Un petit livre, passé inaperçu en en France, fut rédigé en 1796. Il ne fut publié qu’en 1907. Mais cet écrit était connu, ne serait-ce que par ouï-dire. L’auteur, de fait, n’est autre que le philosophe Hegel. On peut dire qu’il lance une mode. Il s’appelle, en effet, La Vie de Jésus.
Ce n’est pas une étude historique. Ce n’est pas davantage un commentaire des écrits du Nouveau Testament. Le livre se présente à la manière d’un évangile, mais l’évangile d’un Jésus, dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il s’est largement converti au kantisme.
Nous n’y trouvons aucune trace d’un quelconque surnaturel. Il n’y est pas question d’une résurrection. Certaines métaphores font penser à la gnose. C’est le cas, notamment, des étincelles de lumière, appelées à se rassembler. Mais le plus surprenant est qu’en fait son auteur n’en donne pas les clefs.
En France, on connaîtra surtout le Jésus de Renan. De son côté, un autre auteur préparait, lui aussi, une vie de Jésus. Devant le succès de Renan, il renonce à le faire paraître. Il se montrera sarcastique à l’égard de tous ceux qui rédigent une vie de Jésus.
Or, cet auteur n’est autre que Pierre-Joseph Proudhon. Féroce à l’égard de Renan, et très probablement plutôt jaloux, il lui reproche d’avoir considéré Jésus comme un idéaliste, alors que son Jésus à lui est un Jésus matérialiste. Ce qui, pour nous, est assez drôle, c’est que Proudhon est convaincu de détenir la vérité historique à propos de Jésus.
Ryner par la suite s’en amusera. Son livre, Le Cinquième évangile, commence ainsi :
“Plusieurs ayant écrit les choses qu’ils trouvaient dans leur cœur mais qu’ils croyaient que d’autres avaient vues avec les yeux du corps ou entendues avec les oreilles charnelles ;
“J’ai voulu aussi, ô mon âme d’amour et de rêve, mettre par ordre ce que tu sais, après m’en être exactement informé auprès de toi.
“Et, puisque le souvenir de Jésus, fluide et flottant comme un fantôme, a pris les formes successives de poètes qui se croyaient des historiens,
“Il prendra bien encore la forme d’un rêveur qui n’ignore point que son rêve est un rêve.”
Avec Ryner, Jésus appartient désormais à la littérature imaginative, à la fiction.
Ce n’est pas le premier exemple. On rencontre Jésus dans Prison fin de siècle. Souvenirs de Pélagie. Ce livre est une merveille, car illustré par un dessinateur dont nous avons oublié le nom, Steinlen, mais dont nous connaissons tous l’affiche qu’il réalisa pour le cabaret le Chat Noir.
Gegout et Malato décrivent avec humour leurs quinze mois à Sainte-Pélagie. C’était alors la prison dédiée aux politiques, essentiellement condamnés pour des délits de presse. Cette prison était assez particulière. Les cachots étaient des plus sinistres. Mais le parloir ressemblait fort à salon mondain. Les détenus recevaient des visites, s’invitaient à dîner, jouaient à cache-cache ou parlaient politique.
Dérision et autodérision sont les maîtres-mots de ce livre. Les auteurs y décrivent, sans en changer les noms, bon nombre de leurs co-détenus. Un jour, ils reçoivent la visite de Jésus-Christ, philosophe, domicilié 314 rue du Cherche-Midi. Mais Jésus, dans ce livre, ne fait qu’une brève apparition. Il n’est d’ailleurs pas détenu. Il sort tout juste de Sainte-Anne.
Après ce séjour en prison, Gegout va se montrer prudent, avant que d’afficher par trop ses options anarchistes. Mais il va publier un livre, intitulé Jésus.
Au début, on dirait une farce. C’est sans doute cela qui va permettre de tromper la censure. Jésus est revenu sur terre, afin de voir ce qu’il s’y passe. Il va en Palestine, et y rencontre un personnage assez haut en couleur, un certain Antoine Simplet, qui l’invite à Paris.
Jésus y fait la connaissance de l’ensemble de la classe politique, et il va se faire mal voir, car il est un adepte de la pensée d’Élisée Reclus. Il dira par exemple, ce qui est une citation : “Voter, c’est abdiquer, c’est être dupe, c’est évoquer la trahison, c’est s’avilir. Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-même. Agissez !”
Ou encore – ce qui sera perçu comme un blasphème : “En vérité, je vous le dis, messieurs les élus, ce qui sort de l’urne ne vaut pas mieux que ce qui sort du pot et il serait plus logique de réserver pour l’un le papier que l’on jette dans l’autre.”
Jésus se retrouve aux assises. Tous les parlementaires déposent contre lui. Et quand le Président lui demande ce qu’il a à répondre à ces accusation, Jésus va dire, simplement : “Rien. Pour la première fois de leur vie, ils ont respecté la vérité.”
Il est, bien entendu, estimé coupable d’outrage aux parlementaires. Le médecin-légiste demande toutefois que l’on s’en tienne à la camisole de force.
Très différents sont les Jésus de Ryner et Barbusse. Ces deux livres ont en commun de partager la structure des évangiles du Nouveau Testament. Le récit de Barbusse s’achève avec la croix, sur laquelle Jésus dira notamment :
“O peuple, je crois en ton jugement dernier.
“Quand tu tiendras l’évangile nu.
“Quand tu feras le peuple.”
Ou encore :
“Contre tous les princes de la terre,
“Debout les damnés de la terre.”
Le Jésus de Ryner, de son côté, ne meurt pas sur la croix. Il est délivré par Pilate, qui espère secrètement qu’il soit encore en vie. Soigné par Nicodème et par Joseph d’Arimathie, il se réfugie par la suite parmi les Esséniens.
De là, il reviendra à l’occasion. Il ira voir Judas qui, s’enfuyant, va tomber dans un précipice. Il songera alors qu’il n’aura jamais su sauver personne.
On lui donne parfois des nouvelles de ses disciples.
“Mais il ne se réjouissait point, parce que Jacques son frère, Johannès, Pierre et les autres n’avaient pas compris la douceur flottante de sa parole.
“Et ils prêchaient le respect de la Loi qu’il était venu détruire, et leur doctrine se précisait comme un mur de prison qui monte vers le ciel et qui cache le ciel.”
Le livre s’achèvera après la rencontre de Paul, sur le chemin de Damas. Il se conclut ainsi :
Parfois il lui arriva, comme à tous ceux qui parlent au peuple, de proclamer l’amour, disant que l’amour est tout.
Mais c’étaient paroles vides et qui le trompaient un instant sur la vérité de son cœur. Car, esclave d’une foi grossière et d’une grossière espérance, il ne connut point les profondeurs libres de l’amour.
Et il fut la cymbale retentissante autour de laquelle se groupent les essaims d’abeilles.
Et, sous le nom de liberté, il établit une servitude nouvelle.
Car, au lieu de la servitude des mains, il établit la servitude des esprits ;
Et, s’il détruisit la foi à la Loi, ce fut pour édifier la loi de la Foi.
La sauterelle et l’araignée • Han Ryner
Jésus était depuis peu de jours dans les profondeurs du désert ; et il marchait un bâton à la main ; et des sauterelles nombreuses s’envolaient au bruit de son bâton et au bruit de ses pas.
En s’envolant, elles montraient, sous les ailes couleur de sable ou de rocher qui empêchent les oiseaux de les apercevoir, des ailes bleues ou rouges.
Et Jésus louait l’Éternel, parce qu’il a donné à ces bêtes un manteau gris qui les protège et parce qu’il a mis sous ce manteau un vêtement plus délicat et plus éclatant que celui de Salomon dans toute sa gloire.
Or, près de l’endroit où Jésus passait, il y avait une herbe épineuse et sèche. Et une petite sauterelle, voulant éviter le pied de Jésus, se jeta parmi ce buisson dans une toile d’araignée.
À l’araignée aussi l’Éternel avait donné un vêtement éclatant, et ses pattes et son ventre étaient couverts de cercles noirs et de cercles jaunes qui semblaient faits d’un riche velours.
Mais, se jetant sur sa proie, l’araignée au ventre hideux et aux belles couleurs l’enlaça avec les fils nombreux qui sortaient de son corps.
De sorte que, enveloppée de langes, la sauterelle qui allait mourir ressemblait à l’enfant qui vient de naître.
Jésus déchira la toile avec son bâton et, tenant dans ses mains la misérable créature, il la délivrait des langes subtils ; et il prenait grand soin de ne point la déchirer ou la blesser.
Mais, quand elle fut délivrée de tous les fils, elle resta sur la main de Jésus sans bondir ou s’envoler. Et elle avait de longs frémissements d’agonie.
Jésus comprit que l’araignée l’avait piquée à mort. Par pitié il acheva l’œuvre cruelle de l’araignée et tua la sauterelle.
Puis, regardant la toile qui pendait en deux lambeaux, il s’attrista, disant : J’ai ruiné un travail ingénieux qui était nécessaire à la faim de celle-ci.
Et la sauterelle qu’il avait arrachée vivante à l’araignée, il la lui rendit morte.
Mais l’araignée dédaigna cette proie souillée au contact de l’homme.
Jésus, voyant ces choses, dit : J’ai voulu le bien et j’ai fait le mal. J’ai prolongé l’agonie de celle qui souffrait. Et j’ai privé de nourriture celle qui avait faim.
De sorte que, n’étant pas rassasiée, elle frappera une autre victime. Et ce nouveau meurtre sera un fils de mes mains.
Pourtant mon cœur est bon et j’y ai aplani les voies du Seigneur. Pourquoi donc le fruit que j’ai donné se trouve-t-il être mauvais ?
Alors il regarda vers le ciel, disant :
Père qui es dans les cieux, explique-moi ta justice et ta miséricorde. Car il semble que la faim de l’araignée, la mort de la sauterelle et l’impuissance de ma bonne volonté portent accusation contre toi.
Et je crois entendre sur toute la terre la grande lamentation et le grand tumulte des créatures qui accusent le Créateur.
Henri Barbusse
J’ai vu Jésus moi aussi. Il s’est démontré à moi dans la beauté de la précision. Je l’aime ; je le tiens contre mon cœur, et je le disputerai aux autres, s’il le faut.
1. C’est au fond qu’est la richesse
1. – La Bonne nouvelle de Jésus, fils de Marie.
2. – Il y eut un homme nommé Matthieu, et un, nommé Jean, qui, dit-on, le virent et qui en parlèrent. Il y eut Luc et Marc qui, dit-on, en entendirent parler par Simon Pierre, et en parlèrent. Il y en eut d’autres, qui en parlèrent, après l’avoir vu, ou sans l’avoir vu. Les paroles restent mais les choses ne sont pas certaines.
3. – Maintenant, c’est lui qui parle à travers le monde de paroles qui furent dites sur lui.
4. – Car il n’y a qu’une vérité, et elle nous appartient à tous.
5. – Tous les matins je m’éveille dans le petit coin de la maison, où l’on m’a mis pour dormir, parce que je suis un enfant.
6. – Je suis souvent, en me réveillant, mêlé aux nuages d’un rêve, et je me dis : Voyons, qui suis-je ?
7. – Alors, les nuages noirs du rêve deviennent clairs au milieu : c’est la petite fenêtre carrée qui se crée, par laquelle on voit le village énorme. Mes yeux fabriquent les choses. Dans la chambre qui est à côté de celle où je suis, et qui est plus grande que celle où je suis, je vois ma mère qui nettoie l’âtre, à genoux. Je suis Jésus fils de Marie.
8. – Si je vois ma mère sur la terre de l’autre chambre, c’est qu’il n’y a pas de porte. Chez nous, c’est si petit qu’elle m’entendrait en ce moment, même si je lui parlais bas. Mais je ne bouge pas avant d’être beaucoup réveillé. Ni avant de voir chacune des bosses de notre gros mur gris, et la lourde cruche rouge assise sur le rebord de la fenêtre. Ni de compter mes vêtements posés sur le coffre.
9. – Je ne peux pas aller dehors comme je le voudrais, maintenant que le matin m’a fait renaître, parce que je suis menuisier à côté de mon père. À peine ai-je fini de manger, et il y a encore dans l’air le bruit fait ensemble par l’écuelle et par moi, que je vais travailler à côté de mon père. C’est dans une cour. Mon père me dit : Tiens, fais ceci ou cela, comme moi. Alors, ce qu’il fait facilement et bien, moi je le fais durement et mal, et il en sera ainsi tant que je n’aurai pas sa grandeur.
10. – Mais il me dit souvent : Va dehors. Il me dit cela à cause de mon âge.
11. – Je vais devant moi dans les plaines et les vallées pierreuses, et vers les montagnes qui s’en vont toujours, me devançant à pas de géants.
12 – Les monts par delà la mer, tout noirs et brillants de bitume où le soleil arrache du blanc par poignées, me forcent à les contempler, et ce sont les plus grandes choses qui soient.
13. – D’où je viens, où je vais, et que suis-je ? Je ne sais pas. Mais au désordre des grandes pierres et des forêts, je préfère les jardins posés comme des images ; les cultures pensantes ; la pauvre terre qui est toute rangée dans son ventre.
14. – Et je préfère les maisons aux jardins, et je reviens toujours là où il y a des maisons.