Dans le N° 60 de LA LIBRE PENSEE EN VENDEE

Les instituteurs militants et la Libre Pensée dans les années Trente.
vendredi 17 septembre 2010
par  Lp 85
popularité : 17%

Note de lecture d’après :
Jacques GIRAULT, POUR UNE ECOLE LAIQUE DU PEUPLE !
Instituteurs militants de l’entre-deux-guerres en France, Publisud, 2009 (492p).
Voilà un ouvrage dense mais passionnant sur les instituteurs. Après les travaux de Jacques OZOUF sur les instituteurs au début du XXème siècle, Jacques GIRAULT, professeur émérite d’histoire contemporaine, entreprend une vaste fresque, résultat d’une trentaine d’années d’enquêtes destinées à brosser une sorte de portrait de l’instituteur militant, de l’impact de la Première Guerre mondiale à l’entrée dans la Seconde.

La méthode part des questionnaires et entretiens lancés en association avec le SNI dès 1969 à l’échelle du Var puis étendus à l’espace national avec le soutien de la MAIF et de la MGEN, complétés par une analyse systématique de la presse syndicale. Sur l’échantillon de 1600 instituteurs et institutrices contactés, près de la moitié a répondu et, au final, les témoignages de 624 militants ont été retenus. Pour définir cette militance, Jacques GIRAULT s’inspire du travail de Jean MAITRON pour le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français, auquel il participe. Sont donc considérés comme militants tous ceux qui ont exercé des responsabilités syndicales, anciens secrétaires départementaux du SNI des années Trente aux années Cinquante, correspondants MAIF (dont l’Assemblée générale constitutive se tint en 1934 à Fontenay-le-Comte), élus aux conseils départementaux de l’enseignement primaire, hommes et femmes. Les femmes comptent pour plus de 17% de l’échantillon alors qu’elles représentaient 64% des enseignants du primaire dans les années Vingt et les 2/3 à la veille de 1939. On cerne ici une des limites de l’échantillon, compréhensible par ailleurs. S’il y avait déjà une féminisation du corps enseignant, reflet d’un élargissement de la scolarisation féminine et de l’égalité de traitement acquise depuis 1919, il y avait aussi une sous-représentation des femmes dans l’exercice des responsabilités syndicales, voire, une marginalisation, par comparaison avec le niveau élevé de leur syndicalisation.
L’objectif de l’ouvrage cherche à reconstituer la personnalité et l’identité collective de ce groupe social, à travers l’analyse de la vie personnelle, des activités professionnelles, politiques, syndicales et des opinions exprimées sur la portée de certains évènements, par exemple le long chapitre sur le Front populaire.

Ce sont les pages consacrées aux Libres Penseurs qui nous intéressent ici. Jacques GIRAULT retient dans son analyse les instituteurs qui affirment avoir appartenu à une société de Libre Pensée durant les années Trente. 16,5% des instituteurs et institutrices ayant répondu à son enquête se présentent comme Libres Penseurs, et comparativement, plus de femmes (19,7%) que d’hommes (9,1%). A mettre en relation, selon l’auteur, avec la sur- représentation féminine parmi les militants et la présence surévaluée de militantes de la FUE (Fédération Unitaire de l’Enseignement). La comparaison avec les travaux de Jacques OZOUF montre qu’au début du siècle, 38% des instituteurs interrogés se disaient Libres Penseurs, mais le critère retenu était alors plus large : se déclarer Libre Penseur ou en sympathie avec les idées de la Libre Pensée. Que faut-il en déduire sur l’influence des sociétés de Libre Pensée entre les deux guerres ? qu’elle décline comme l’a prétendu Jacqueline LALOUETTE dans son ouvrage ? Jacques GIRAULT émet l’hypothèse inverse. Les syndicats et singulièrement le SNI à partir de la fusion, mettent au premier plan de l’action la défense laïque ; ce qui alimente un courant que l’auteur présente comme « agnostique, athée, antireligieux ou anticlérical » . Les arguments utilisés par les instituteurs libres penseurs qui ont fourni leurs témoignages évoquent leur refus de la religion et des provocations de l’Eglise catholique vis-à-vis de la neutralité de l’Ecole. L’auteur donne un peu plus la parole à ceux qui repoussent « l’idéologie » de la Libre Pensée. On y retrouve les accusations de sectarisme et d’intolérance. Pour ce qui est des liens avec l’appartenance politique, on remarque que les socialistes y sont nombreux et que des instituteurs ont quitté la Libre Pensée quand ils ont adhéré au parti communiste et particulièrement au moment où la ligne du parti s’exprimait par la voix de Maurice Thorez dans la « politique de la main tendue » aux catholiques , c’est-à-dire en avril 1936.

Si l’on compare avec les instituteurs en Vendée, nos données ne sont pas assez nombreuses pour en tirer des analyses définitives. Le cahier de tenue des réunions du groupe sablais libre penseur « L’ Eglantine » que nous possédons, de 1913 à 1987 (avec de nombreuses interruptions) , répertorie quatre instituteurs pour les années Trente . Victor BEAUMONT, proche de la SFIO ou à la SFIO, franc-maçon à la loge « L’Emancipation » du Grand Orient, président du groupe LP sablais et animateur de conférences en 1930, prend position au titre de la Libre Pensée pour le Front Populaire. Devenu président d’honneur du groupe sablais, il est mort en février 1940 . BRACHET, instituteur, appartient également au groupe LP sablais sans que l’on sache s’il s’agit de Lucien BRACHET, engagé sur les listes syndicalistes révolutionnaires du SNI en 1936 et 1937 ou de son frère Georges BRACHET, né en 1895, directeur d’école au Château d’Olonne, alors militant actif de la SFIO, des comités antifascistes, de l’ARAC (Association républicaine des Anciens combattants), candidat de Front Populaire aux Législatives de 1936 dans la première circonscription des Sables. Lucien LELOUP, instituteur à Palluau, adhère en avril 1939. Enfin, Alfred ROUX, né en 1908, alors instituteur à Grosbreuil puis à Montournais, militant du PC depuis 1934, responsable du « rayon » sablais jusqu’en 1938, très actif dans la propagande antifasciste, adhère à la Libre Pensée en mars 1936 et anime des conférences auprès du groupe sablais sur les religions. Est-ce suite au mot d’ordre donné aux « Travailleurs sans dieu » de rejoindre la Libre Pensée ? Alfred ROUX, espérantiste, marié en 1938 à Odette Loisit, institutrice, tous deux sont déplacés à Aziré-de-Benet en 1940 pour avoir fait grève le 30 novembre 1938 et Alfred Roux, arrêté en mars 1943 pour acte de résistance, disparaît « suicidé » en juin 1943, vraisemblablement assassiné dans sa prison à La Roche-sur-Yon.
On remarque donc dans les rapports entre PC et LP que les uns y rentrent quand d’autres en sortent…double illustration, d’une part de la stratégie du PC à l’époque et d’autre part des relations tendues entre la direction de la Libre Pensée (André Lorulot ) et le Parti communiste.

Pour ce qui est de l’étude de Jacques GIRAULT, il constate que les instituteurs, dirigeants syndicalistes et membres d’une société de LP dans les années Trente, occupent une place privilégiée parmi les militants puisque parmi les libres penseurs, 83% ont occupé des responsabilités dans les conseils syndicaux des sections départementales et un tiers ont exercé les fonctions de secrétaires départementaux. Plus de membres des sociétés de LP occupent les fonctions de secrétaires de mairie. Par ailleurs, 17% d’entre eux appartiennent à la Franc-Maçonnerie, ce qui permet également de mesurer leur influence sociale. Quand ils jugent leur comportement d’ensemble par rapport aux phénomènes religieux, ils se retrouvent à 84% dans les trois attitudes qualifiées « d’areligieuse, antireligieuse et anticléricale ». Voici donc le portrait de l’instituteur militant libre penseur des années Trente que nous propose l’étude de Jacques Girault.

Pour ce qui est des instituteurs militants, en général, et pour la Vendée des années Trente, en particulier, on croise les témoignages d’André Retail, d’ Eugène Péaud, d’Odette Roux…qui sont expressément cités et bien d’autres, restés, eux, dans l’anonymat. Leurs témoignages individuels éclairent le contexte vendéen bien spécifique de guerre scolaire face à l’école libre puissante. En même temps, ils s’inscrivent dans la construction de ce profil des instituteurs militants français de l’entre-deux-guerres et sa représentation collective, beaucoup plus contrastée que le stéréotype largement véhiculé de l’instituteur socialiste convaincu, syndiqué, anticlérical, franc-maçon et libre penseur.
Si la synthèse reste difficile et Jacques GIRAULT ne la tente pas réellement, on peut cependant retenir que les instituteurs militants ne forment pas un ensemble homogène alors qu’ils sont bien des piliers de la laïcité. Conscients d’une sorte de mission -l’éducation du peuple, la lutte contre les obscurantismes irrationnels, le respect des individus et des autorités mais aussi la vigilance par rapport à l’injustice et l’inégalité sociale-, ils composent « une communauté imparfaite et nuancée ». Traversé par de violents affrontements (notamment au gré des scissions syndicales), et pourtant d’une grande perméabilité idéologique, loin d’être monolithique, ce groupe révèle pourtant une certaine cohésion, notamment construite par sa formation à l’Ecole normale, ses pratiques pédagogiques et plus encore par son fort engagement, la mémoire des luttes laïques menées et les épreuves des guerres qui ont, par exemple, forgé son pacifisme.

Florence REGOURD


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