Le seul discours prononcé à l’enterrement de Ferdinand Buisson

Le discours du syndicaliste du SNI en 1932
vendredi 16 juillet 2010
par  lpOise
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Pour les libres penseurs de 2010, le contexte politique du combat républicain du début du XXème siècle n’est pas familier. Ferdinand Buisson est à la fois un esprit très indépendant, un serviteur de la République indivisible et laïque intransigeant, un directeur de l’enseignement reconnu, un élu radical etc.

Plusieurs articles seront publiés ici pour éclairer le personnage.
Le premier de la série est le discours d’un syndicaliste, au demeurant connu pour sa détermination dans tous les combats du SNI. Il s’agit du discours qu’il fit à Thieuloy-Saint-Antoine, lors des obsèques de Ferdinand Buisson en février 1932. Ajoutons que Ferdinand Buisson, même retiré à la fin de sa vie à Thieuloy, conservait un grand prestige.

Mais c’est lui qui avait refusé les discours et n’en avait admis qu’un : celui du représentant des instituteurs !

DISCOURS d’Emile GLAY

Secrétaire général du Syndicat National des Institutrices et Instituteurs

En prenant la parole dans de si pénibles circonstances, je me sens d’autant plus ému que j’accomplis un pieux devoir ; celui que nous pleurons me témoigna toujours une si vive amitié qu’il me désigna lui-même pour dire aujourd’hui, au nom de notre Syndicat, cet adieu qui me bouleverse. C’est qu’il affectionnait tout particulièrement la génération des instituteurs formés par les maîtres qui furent son orgueil, je veux dire ceux qui entrèrent dans la carrière lors de la première application des lois Ferry.

Comme il aimait à rappeler que nous étions les élèves de ces premiers instituteurs publics qu’il avait entraînés avec confiance dans l’Å“uvre difficile et ingrate d’une école populaire vraiment neutre, échappant au contrôle des confessions, mais respectueuse des croyances, réunissant dans la même sollicitude tous les enfants de France, sans distinction aucune.

Quelle admirable persévérance pour faire triompher ces idées de tolérance, de liberté, de raison, en communiquant aux milliers de bons ouvriers dont il était l’ami plus que le chef, cette foi laïque qui lui faisait écarter tant de difficultés et réaliser son rêve de jeunesse : l’école primaire obligatoire.

II lui avait fallu tout d’abord initier les instituteurs à l’esprit du nouvel enseignement et leur faire connaître le grand effort d’instruction et d’éducation auquel ils étaient appelés à collaborer. Travail ambitieux ; d’autant plus accablant que tout était à faire, depuis l’élévation des milliers d’écoles là où elles n’existaient pas, jusqu’à la formation d’un personnel recruté hâtivement et sans préparation suffisante à la plus difficile des professions. Nous les avons connus, ces maîtres qui furent les nôtres ; il nous arrive encore de causer avec eux ou de consulter les ouvrages et les revues qui les orientaient et qui facilitaient leur tache ; toujours le nom de Ferdinand Buisson revient sur leurs lèvres, où se retrouve dans leurs cahiers professionnels, depuis l’article doctrinal, jusqu’aux conseils de la pratique quotidienne du métier, depuis le monument incomparable qu’est le DICTIONNAIRE DE PÉDAGOGIE, jusqu’aux Simples Leçons scolaires écrites avec tant de cÅ“ur. Partout Ferdinand Buisson domine la pléiade des hommes désintéressés, courageux, à qui la République doit l’École Laïque. Il n’enseignait pas seulement à ces éducateurs, il les persuadait, il les convainquait, il leur faisait comprendre cet idéal de justice et d’amour que les grandes politiques de la Révolution avaient exprimé dans un langage théorique et qu’il voulait, lui, traduire en actes et en institutions dans le monde réel.

Ayant été élevés, guidés, par de tels éducateurs formés à son image, ce n’est pas par hasard que, dans le mouvement spontané éclatant chez nous avec l’apparition des Associations, nous rencontrâmes Ferdinand Buisson. Alors le Maître recommença pour nous ce qu’il avait fait avec nos aînés : il voyait dans la progression de notre syndicalisme la conséquence heureuse de l’organisation collective qu’il avait conçue pour les premiers animateurs de l’École 30 ans auparavant.

Lui qui avait été si tenace, si audacieux pour orienter Jules Ferry dans la réforme administrative par la collaboration était heureux de voir nos groupements rechercher un contact régulier et permanent entre le cadre de contrôle et le cadre d’exécution. Il avait confiance dans l’esprit de mesure du personnel rendu plus fort, moins vulnérable, à l’abri des coups, sous la protection de son syndicat ; là encore il restait le guide et l’inspirateur. Que de questions il nous posait dans nos multiples rencontres quand il cherchait sans relâche à savoir où nous voulions aboutir ; comme il était satisfait de sentir notre souci de ne pas compromettre par une maladresse, une erreur, un geste imprudent, la grande Å“uvre dont il surveillait sans cesse le rythme de vie progressive. Défenseur autorisé de toutes nos causes, il était si indulgent, si persuasif qu’il finissait presque toujours par désarmer l’adversaire.

Nous n’oublierons jamais les conseils à la fois prudents et hardis qu’il nous donnait avec discrétion, parce qu’il ne concevait pas autrement son rôle dans la lutte que nous menons pour organiser nos associations, aussi avec inquiétude parce qu’il redoutait quelqu’excès bien excusable et toujours possible. Peut-être a-t-il souffert parfois de nos audaces mais jamais nous n’avons douté des raisons de ses scrupules, et somme toute, l’amitié aidant, nous avons fait comme les anciens, nous nous sommes inclinés avec sympathie devant sa grande autorité. Comment aurions-nous pu agir autrement ? Nous l’admirions pour tous les enseignements qu’il donnait : en Sorbonne où sa parole persuasive enthousiasma notre jeunesse, à ce cours libre qui réunissait les chefs, les instituteurs et le public « tous préoccupés de la grandeur et de l’humilité de notre tache commune », dans la presse, à la tribune du Parlement, et des Congrès si divers, où il dominait de toute sa force morale, de son érudition, de sa grande honnêteté.

Car nous n’honorons pas seulement en Ferdinand Buisson le créateur de l’école laïque et le professeur ; pour nous instituteurs il fut encore le modèle du citoyen par la prodigieuse force de travail, par son énergie continue, patiente, à la recherche du vrai. En nous communiquant avec la simplicité et la conviction de toute sa vie, cette croyance quasi mystique dans l’éducation morale par la liberté et par la raison, cette" assurance de la vérité, cette sincérité dans la vie professionnelle, Ferdinand Buisson a complété son Å“uvre d’administrateur et son travail de parlementaire puisqu’il a entretenu en nous ses disciples reconnaissants, la force de l’esprit si nécessaire, à une démocratie qui veut assurer l’avenir.

Éducateur civique, éducateur pédagogique, éducateur politique, aussi serein dans les périodes de réaction que dans les heures plus douces du succès, aussi droit devant l’échec que dans la réussite, il nous frappe par sa constante unité d’action.

Cher grand ami

Votre vie, noble et généreuse, sera continuée par les instituteurs ; ils ne trahiront pas votre idéal si libéral, si humain.

Devant votre famille en pleurs, nous nous inclinons respectueusement, nous excusant d’avoir évoqué tant de souvenirs d’un passé si prenant pour nous et qui justifie la grandeur de notre affection reconnaissante comme la profondeur de notre douleur sincère.

Adieu cher maître

Février 1932 Thieuloy-Saint-Antoine OISE
(F Buisson est mort le 16 février)
Source : journal "La République de l’Oise"


Merci aux "Archives départementales de l’Oise" qui grâce à leur action de conservation des journaux ont permis de reconstituer cette intervention.


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