Le Grand Ferré

Au temps de la Jacquerie
mardi 26 janvier 2010
par  lpOise
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Cette époque de la Jacquerie est aussi celle de la Guerre de Cent Ans, et des épisodes de résistance populaire aux Anglais, se sont transmis dans l’histoire.
Les républicains, dans les années 1880 développent une histoire républicaine de la France et la font connaître dans les écoles. Jules Troubat, républicain qui va fonder la Libre Pensée à Compiègne vers 1885, publie en 1882 un article sur le Grand Ferré que nous reproduisons ici.

LE GRAND FERRÉ
Par Jules Troubat le 9 juillet 1882.

C’était dimanche la fête à Margny et à Venette. Ces deux communes, qui font peu parler d’elles de nos jours, n’ont pas toujours joui du bonheur des peuples qui n’ont pas d’histoire. Elles en ont eu des histoires avec les Anglais et les Picards au temps de la querelle des Bourguignons et des Armagnacs. C’est à Margny, on le sait, sur la rive droite de l’Oise, en face de Compiègne, que fut arrêtée Jeanne d’Arc le 24 mai 1480.

Le village de Venette n’est qu’à deux pas de celui de Margny, en descendant le cours de l’Oise. Ce sont les Anglais, dit-on, qui en ont construit l’église et le clocher, un clocher excentrique, orné d’échelons qui ressemblent à des crampons. On a attribué à ce village la naissance du grand Ferré. Ce héros plébéien est né à Rivecourt, près de Verberie. Il est, dans ce cas, presque un compatriote de Mme Edmond Adam [1]. Quoi qu’il en soit, c’est un enfant de l’ÃŽle-de-France et un fils de la Picardie. Les deux terres confinent et sont bien françaises toutes deux. Le grand Ferré a sa légende héroïque. Né au XIVe siècle, il appartint d’abord au parti des jacques, d’où est venu le nom de Jacques Bonhomme au travailleur des campagnes qui personnifie le mieux les travailleurs de la France, comme en Angleterre, pour une raison analogue, le type national a pris le nom de John Bull. La révolte des Jacques est un des premiers tressaillements de la Révolution française dans notre pays. Les paysans, exaspérés contre les exactions des seigneurs, prirent une éclatante revanche qui alla évidemment trop loin, et comme toujours dépassa le but. Quand la bête de somme se révolte, elle ne se connaît plus. Le grand Ferré, ainsi nommé à cause de sa stature colossale, fut un des prédécesseurs de Jeanne d’Arc sur cette vieille terre druidique de tout temps gauloise et patriote. Après avoir frappé d’estoc et de taille contre les exacteurs et les déprédateurs du prolétaire campagnard, il tourna son effort contre les Anglais, en ce temps-là maîtres du pays.

C’a été de tout temps ainsi, l’étranger a toujours profité de nos dissensions pour nous menacer et nous envahir quand il l’a pu. Un chroniqueur du passé, Jean de Venette, raconte ainsi le dernier exploit du grand Ferré, celui qui lui coûta la vie :

II y a, dit ce contemporain, près de Verberie, du côté de Compiègne, un village nommé Longueil, possédant un petit fort, dépendant du monastère de Saint-Corneille, de Compiègne. Les habitants, ne voulant pas laisser l’ennemi s’emparer de cette place, demandèrent au seigneur régent et à l’abbé du monastère la permission de l’occuper, et s’y installèrent munis d’armes et de vivres. Ils choisirent entre eux un capitaine, avec la permission du duc de Normandie, auquel ils promirent de défendre cette place jusqu’à la mort. Beaucoup de paysans des villages voisins vinrent aussi chercher leur sûreté dans ce fort, et tous élurent pour capitaine unique Guillaume Alaud. Celui-ci avait à son service un autre campagnard d’une taille et d’une force extraordinaires, et non moins étonnant par son audace et son énergie ; il s’appelait le grand Ferré.

Ils étaient environ deux cents, tous laboureurs ; or, les Anglais, qui étaient à la forteresse de Creil, ayant su les préparatifs de défense de ces pauvres gens, voulurent chasser cas paysans et s’emparer de leurs provisions et du fort ; ils purent y pénétrer et arrivèrent au milieu de la cour intérieure. Les campagnards placés à l’étage supérieur restèrent frappés de stupeur en voyant ces gens bien armés. Le capitaine Guillaume Alaud descendit avec quelques-uns des siens ; il commença à frapper d’estoc et de taille ; mais, entouré par les Anglais, il fut frappé mortellement. A cette vue, ceux de ses compagnons qui étaient restés dans les salles, et le grand Ferré avec eux, dirent : « Descendons et vendons notre vie, autrement ils nous tueront sans merci. » Alors ils se réunirent en troupe, sortant par plusieurs issues, et frappaient de toute la force de leurs bras sur les Anglais comme ils avaient coutume de battre leur blé dans l’aire. Chaque coup était mortel. Le grand Ferré, voyant son maître, le capitaine, qui gisait mourant, poussa un profond gémissement ; il se jeta au milieu des combattants qu’il dépassait de toute la tête, et levant sa lourde hache, il se mit à frapper à coups redoublés et fit place nette devant lui. Il visait presque toujours à la tête. Un officier anglais se présenta à lui, armé de toutes pièces, la tête couverte d’un casque de fer. Le grand Ferré le reçut, et d’un coup de hache lui fendit le casque et lui partagea la tête jusqu’au cou. En peu de temps, il tua dix-huit officiers de sa main, sans parler des blessés. Ses compagnons, animés par son exemple, frappaient courageusement sur les Anglais qui prirent la fuite ; les uns sautent dans les fossés et s’y noient ; les autres, voulant s’échapper par la porte, tombent sous les coups des paysans. Le grand Ferré, s’élançant au milieu de la cour, tue le porte-enseigne des Anglais, et s’empare de l’étendard. Il dit à un des siens d’aller le jeter dans un fossé ; celui-ci refusa parce qu’il y avait trop d’Anglais entre eux et le fossé. « Eh bien ! dit le grand Ferré, suis-moi avec l’étendard. » Et marchant devant lui, il se mit à frapper de droite et de gauche, renversa par terre tant d’ennemis qu’il s’ouvrit un chemin jusqu’au fossé où l’autre jeta la bannière. Il tua, dit-on, à lui seul, quarante-cinq Anglais, sans compter ceux qui furent blessés.

Le grand Ferré rendit, à la fin de cette journée, les derniers honneurs au capitaine Guillaume Alaud. Le bruit de cette défaite étant parvenu à Creil, le commandant de cette place en conçut un grand dépit, et le lendemain les Anglais vinrent en plus grand nombre ; mais l’intrépide Ferré les fit reculer. Ils auraient bien voulu ne s’être pas présentés à ce combat. Tous ceux qui cherchèrent leur salut dans la fuite furent tués ou blessés à mort, sauf quelques prisonniers de bonne noblesse qu’il se contenta de faire prisonniers. Ceux-ci lui offrirent une grande somme d’argent pour obtenir la liberté de retourner à Creil ; mais le grand Ferré refusa leur présent et les retint prisonniers. Ce brave soldat, ayant bu de l’eau froide en excès, eut la fièvre et mourut peu de jours après. Les Anglais de Creil en eurent une grande joie ***...

Les Anglais à Creil ! Ils y sont restés sur tous les bords de l’Oise, jusqu’à Chantilly, mais pour l’élevage des chevaux. Ce n’est qu’un haras et une succession de beaux attelages depuis Compiègne, tout le long de cette rivière qui a donné son nom au département. Les courses de Chantilly sont d’ailleurs assez célèbres, et la langue anglaise est commune dans ces parages, sur la ligne du Nord. Aujourd’hui, l’ennemi n’est plus de ce côté...

*** Note de Jules Troubat sur la citation de Jean de Venette :
"J’emprunte cette traduction de la Chronique de Guillaume de Nangis, écrite en latin, à l’Histoire de la ville et du Château de Creil, par M. Mathon ; un vol. in-8’, Paris, Dumoulin, 1861. — II s’agit ici du second continuateur de Guillaume de Nangis, très fier d’être un compatriote du grand Ferré. Nous avons suivi l’orthographe donnée par M. Mathon, mais nous trouvons le nom de notre héros écrit ainsi : Ferret, dans Carlier (Histoire du duché de Valois, tome II, pages 317, 319, 331). Nous recommandons particulièrement le récit de ce dernier à ceux qui voudraient sonder de plus près cet épisode héroïque de notre histoire nationale au temps des jacquiers. (Voir aussi Histoire de la Jacquerie, par M. Siméon Luce. Paris, Durand, i vol. in-8° 1859) "


 [1]


[1Jules Troubat fait allusion à Juliette Adam, née Lamber le 4 octobre 1836 à Verberie (Oise) et morte le 23 août 1936 à Callian (Var). Elle fut connue comme républicaine et féministe. Son mari Edmond Adam était aussi un républicain qui mourut en 1877 et fut inhumé au Père-Lachaise, lors d’obsèques civiles auxquelles assistent Emmanuel Arago et Victor Hugo. (Note du webmestre)


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