LES FETES DE JEANNE D’ARC A ORLEANS : ÉGLISE PARTOUT, LAÏCITE NULLE PART !

lundi 10 mai 2021
par  LP45
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Qui connaît vraiment "Jeanne d’Arc" ?

Que reste-t-il de la réalité et comment mesurer la dimension historique de Jeanne d’Arc ? On n’en connaît surtout que l’hagiographie de l’Église et la légende du Front National, qui exploitent sans vergogne le mythe, très tôt célébré à Orléans puisque les Fêtes johanniques connaissent en 2021 leur 592° édition.

Prenons Charles d’Orléans, prisonnier des Anglais pendant un quart de siècle pendant la Guerre de Cent Ans : serait-il entré dans l’histoire comme le Puceau d’Orléans et pas comme le grand poète qu’il a été ? On peut en douter. Mais la vertu principale d’une femme depuis la légende de la Vierge Marie étant sa vertu tout court, Jeanne d’Arc est entrée dans la légende comme la Pucelle d’Orléans. Était-elle pucelle ? Cela nous est bien égal. Était-elle bergère ? On peut en douter pour avoir été capable d’endosser une armure et commander des troupes. Jeanne d’Arc a été une grande femme d’armes.

Contrevenant à tous les interdits de l’époque, quelques femmes se déguisaient pour partir à la guerre, comme en attestent de nombreux poèmes. Revêtir des habits masculins est l’un des principaux chefs d’accusation contre Jeanne, et lui vaudra la mort après une première condamnation à perpétuité. Jeanne d’Arc était l’une de ces pionnières.

Non à la récupération par l’Église

Capturée par les Bourguignons, alliés des Anglais, près de Compiègne, en mai 1430, Jeanne d’Arc est livrée à la justice ecclésiastique puisqu’elle se dit inspirée par Dieu. Il s’agit donc d’un procès inquisitorial, et l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, s’en charge donc, en janvier 1431. Après consultation des théologiens de l’université de Paris, il condamne Jeanne, le 14 mai 1431, pour hérésie, schisme, apostasie, etc. Le 24, Jeanne reconnaît l’autorité de l’Église et accepte de reprendre des vêtements féminins. Mais on la revoit habillée en homme et, lors du second jugement, le 28, elle renie son abjuration. Elle est donc brûlée vive à Rouen, siège du gouvernement d’Henri VI, le 30 mai 1431. Après une réhabilitation, rapidement dictée par des considérations politiques, l’Église la canonise en 1920. On assiste donc à une manipulation opérée par l’Église et largement acceptée socialement, une trahison envers Jeanne.

Non à la récupération par l’extrême droite

Jeanne d’Arc, symbole du courage pour bouter les Anglais hors de France tout en étant une respectable et chaste Française est, pour le Front National (RN), de loin préférable au symbole de la révolutionnaire et républicaine Marianne au bonnet phrygien, combattante aux seins nus, symbole de liberté. Et lui sert à cultiver un ultranationalisme atemporel comme s’il s’était agi de bouter les étrangers hors de France et pas d’une guerre entre deux puissances. Deux rois se disputent le Royaume de France, au nord de la Loire Henri VI d’Angleterre, allié aux Bourguignons, et au sud, Charles VII, qui n’a pas encore été sacré roi. En volant l’étendard de Jeanne d’Arc, le FN s’adjuge des lettres de noblesse -son pétainisme n’étant pas glorieux-. Sa récupération ultranationaliste est tout aussi perverse que celle de l’Église.

Qui incarne Jeanne d’Arc lors des fêtes johanniques ?

Cette jeune fille a tout de la bonne fille de l’Église bien rangée, vouée aux bonnes œuvres de sa paroisse, et rien de la libératrice d’Orléans le 8 mai 1429, l’hérétique, la militante au cœur du conflit dynastique majeur qu’est la Guerre de Cent Ans. Elle doit être catholique pratiquante ("baptême et preuve d’engagement dans sa vie de foi" exigés), habiter Orléans ou commune limitrophe depuis 10 ans, être scolarisée dans un lycée orléanais et avoir un engagement associatif (le scoutisme étant un bon point face à la concurrence). Ce cadre exigu permet de désigner l’adolescente de la bourgeoisie ultraconservatrice orléanaise qui tombera en pâmoison à cette nouvelle. Gare au casting : la jeune lycéenne d’origine béninoise qui a incarné l’héroïne en 2018, avait été victime d’insultes racistes sur les réseaux sociaux (histoire de rappeler aux mécréants que nous sommes que Jeanne d’Arc et Jésus-Christ étaient blonds aux yeux bleus). Le parcours de la Jeanne d’Arc 2002, extrême-droite identitaire, journaliste à Valeurs Actuelles, la conduit à être commentatrice du documentaire 2021 sur les fêtes johanniques, financé par la Ville. L’association Orléans Jeanne d’Arc, sorte de mix entre l’association paroissiale et le Comité Miss Loiret, choisit et accompagne depuis 1979 la Jeanne d’Arc de l’année. Autant dire que les Jeanne d’Arc venant d’un lycée public sont rares.

L’État propagandiste de l’Église

Cultiver la tradition des fêtes johanniques, c’est se rendre complice d’une relecture de l’histoire, biaisée au point de friser l’indécence dans l’hypocrisie, puisque l’Église revendique à son profit une figure qu’un évêque a condamnée et qu’un autre évêque célèbre chaque année. C’est aussi la perpétuer : l’édition 2020 devait être la fête de la canonisation de Jeanne d’Arc. Est-ce encore la fête de Jeanne d’Arc ou un vecteur idéal de propagande religieuse ? D’ailleurs, les fêtes, reportée à l’automne en accord avec l’évêché, l’Armée et l’association Orléans Jeanne d’Arc, avaient finalement étés réduites à une fête sans Jeanne d’Arc.

La République se glisse dans les chaussons de l’Église. Depuis 1430, les fêtes n’ont été interrompues que sous la Première République, pendant la Révolution française (ça ne doit pas être un hasard). Évidemment, elles ont été rétablies dès 1803 par Bonaparte. En 1920, le maréchal Foch a été le premier invité « militaire » à les présider. Jeanne d’Arc était canonisée le 16 mai suivant et la loi du 10 juillet 1920 instituait la "Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme" le deuxième dimanche du mois de mai (Orléans a maintenu la date du 8 mai). Comme d’autres journées nationales, elle est organisée par le ministère de la Défense. Les fêtes de Jeanne d’Arc sont l’expression la plus visible de l’union de l’Église, l’Armée et l’État.

Les fêtes johanniques ont été, en 2018, inscrites au Patrimoine culturel immatériel de France. Mais les autorités et services publics, en dépit des aspects touristiques -son et lumière sur le parvis, set électro la nuit du 7 au 8 mai, marché médiéval ou visites guidées-, ne leur donnent pas de sens laïque mais se calent sur le scénario immuable des temps cérémoniaux dicté par l’Église :

Demandez le programme !

 29 avril : remise de l’épée à Jeanne par la Jeanne de l’édition précédente. La présidente de l’association Orléans Jeanne d’Arc, le colonel commandant d’armes de la Place d’Orléans et de la base aérienne, le maire d’Orléans et l’évêque d’Orléans, prennent la parole pour réaffirmer les "valeurs" qu’ils associent à l’événement.
 1 mai : chevauchée de Jeanne d’Arc à travers la ville suivie de son cortège et d’un millier de guides et scouts.
 7 mai : remise de l’étendard de l’autorité civile à l’autorité religieuse pour le temps des commémorations sur le parvis de la cathédrale Sainte-Croix. Scandaleux. Jeanne d’Arc est entourée par les membres du conseil municipal et du clergé tandis que résonne la cantate de l’Étendard*. Quand démarre le deuxième couplet, le porte-étendard de la Ville remet l’étendard au maire, qui le remet à l’évêque, qui le remet au porte- étendard de la Garde d’honneur (militaires). 22h. Embrasement "son et lumières" de la cathédrale tandis que le public entonne à son tour la cantate à l’Étendard. Scandaleux.
 8 mai : 10h messe solennelle en présence des autorités religieuses, civiles et militaires, concélébrée par un invité d’honneur de l’évêque, qui prononce le panégyrique en l’honneur de Jeanne.

L’après-midi du 8 mai est consacrée aux cérémonies civiles. Ou dites civiles : défilé militaire pour la Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme, et l’Église est toujours la protagoniste à tous les étages :

14h30 : Discours du maire d’Orléans et du président d’honneur sur le parvis de la cathédrale.
14h50 : Défilé militaire, le plus important après celui du 14 Juillet à Paris, parade aérienne puis des troupes.
15h20 : Cortège commémoratif en souvenir du cortège des Orléanais lors de la délivrance d’Orléans en 1429 avec, derrière Jeanne d’Arc, les échevins, les bourgeois et le clergé. En tête Jeanne d’Arc et son escorte, suivis des associations médiévales et des Provinces françaises ; le président des Fêtes, le maire et les corps constitués (justice, armée, université, parlementaires, conseil municipal, autres collectivités) ; les représentants du clergé, le président religieux des fêtes et des jeunes catholiques : Scouts et guides de France (SGF), Guides et scouts d’Europe (GSE) et Scouts unitaires de France (SUF) ; les associations civiles et sportives.
18h30 : Restitution de l’étendard sur le parvis de la cathédrale de l’évêque au Maire.

Tout cela se passe de commentaires. Pour y voir encore plus clair, voici un extrait de la cantate de l’Étendard susmentionnée, composée par Marcel-Etienne Laurent, maître de chapelle de la cathédrale d’Orléans, en 1899, sur des vers d’un autre évêque, Gustave Vié :

*"En ce moment la France toute entière
Est debout avec ses enfants
Pour saluer, comme nous, la bannière
De la Pucelle d’Orléans !

2. Salut à la blanche bannière
Salut, salut aux noms bénis
Du Christ et de Sa Sainte Mère
Inscrits par Jehanne dans ses plis
Par eux, jadis, elle sauva la France
Aimons-les donc comme autrefois
Et de nouveau consacrons l’alliance
De notre épée avec la Croix !"

Présidents civils des fêtes et Présidents de la République

Les fêtes johanniques sont présidées chaque année par deux invités de marque (un pour les cérémonies et festivités civiles, un pour les cérémonies religieuses). Le président civil est choisi par le maire parmi des personnalités diverses. Il est d’usage d’inviter le président de la République élu dans l’année : ainsi, Jean-Pierre Sueur, à l’époque maire socialiste d’Orléans, et aujourd’hui sénateur du Loiret, avait invité Jacques Chirac en 1996, qui avait acquiescé à son discours dénonçant l’accaparement illégitime de Jeanne d’Arc par le Front National.

En 1929, à l’occasion du 500e anniversaire de la levée du siège d’Orléans, Gaston Doumergue a été le premier Président de la République française à présider les fêtes. Et à assister à la messe depuis la loi de 1905 de Séparation des Églises et de l’État.

Le Président actuel de la République, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie et des Finances de François Hollande, les a présidées en 2016.

Le mot de la fin

En 1960, le président civil des Fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans, fut le premier ministre Michel Debré, auteur de la loi de 1959 qui finance l’enseignement privé et dont la FNLP demande l’abrogation (ça ne doit pas être un hasard non plus).

Monica Jornet
Présidente de la Fédération de la Libre Pensée du Loiret


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