La Raison 91, Numéro 68 : Interview de Louis Couturier

à propos de son livre « Les Libres penseurs et leurs Internationales »
mardi 1er mai 2018
par  lpEssonne
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Louis Couturier est Président de la Fédération de l’Essonne de la Libre Pensée. Il est aussi Vice-Président de l’Institut de Recherches et d’Etudes de la Libre Pensée (IRELP). Il est l’auteur d’un ouvrage remarqué (épuisé) : « La Libre Pensée et les femmes, les femmes et la Libre Pensée ». Il vient de se consacrer à la rédaction d’une ‘‘somme’’ : « Les Libres penseurs et l’Internationale ». Nous l’avons rencontré pour lui demander de présenter cet ouvrage.

L.R. : Pouvez-vous nous dire pourquoi avoir choisi un tel sujet ?

L.C. : La Libre Pensée est internationale par nature, parce qu’elle est humaniste – rien de ce qui est humain ne lui est étranger – parce qu’elle est sociale, parce qu’elle est pacifiste, parce qu’elle est anticléricale. Cette dimension est soulignée avec pertinence par Jean-Marc Schiappa, le président de l’IRELP dans sa préface.

J’ai tenu à l’illustrer en présentant le mot Libre penseur en 26 langues, y compris en Sindhi, en Bengali, en Igbo, en Tamoul, en Malgache, en Telugu. J’ai présenté 42 congrès mondiaux de 1880 à 2007 à Genève, et 7 congrès de l’AILP, d’Oslo en 2011 à Paris en 2017.

Internationale par essence, la Libre Pensée ne disposait pourtant pas d’un ouvrage de synthèse couvrant son activité pendant cette période et sur tous les continents.

Des sources abondantes étaient à ma portée à l’IRELP ainsi que plusieurs milliers d’ouvrages de la Bibliothèque de la Laïcité gérée par l’IRELP : une mine inconnue de la plupart des chercheurs ou volontairement ignorée par d’autres. Ces sources ont été complétées via Internet par les documents mis en ligne par l’Institut Emile Vandervelde de Bruxelles et par le REHMLAC (Revue d’Etudes Historiques Maçonniques pour l’Amérique Latine et les Caraïbes).

J’ai puisé abondamment dans les ouvrages que m’ont aimablement transmis Max Wallace, Fred Whitehead et Devrig Mollès, ouvrages inédits en français.

Il y avait ainsi matière à traiter ce sujet et à compléter pour les 100 dernières années les travaux de synthèse de mes illustres prédécesseurs : Putnam, Robertson, Wheeler, McCabe, Royle voire Jean Bossu et Joseph Berny, travaux auxquels je me réfère abondamment. Un tel sujet s’imposait d’autant plus que le vent de la Libre Pensée soufflait à nouveau sur tous les continents comme au premier âge d’or du début du vingtième siècle. J’ai finalement accepté de relever le gant, fort du soutien des amis de l’IRELP pour que les Libres penseurs et l’AILP disposent enfin de cette synthèse.

LogoAILP

L.R. : Y a-t-il toujours eu, dès le début de l’existence de la Libre Pensée une action internationale ?

L.C. : Comme je viens de l’indiquer, la Libre Pensée est internationale par nature.

La proclamation de la FILP à Bruxelles en 1880 n’est pas un lapin sorti ex-nihilo du chapeau de quelques figures illustres. Elle est le couronnement de nombreuses initiatives : traductions d’ouvrages, conférences, échanges internationaux.

En 1869 s’est tenu l’Anti concile de Naples qui a dû se séparer sans aboutir à la constitution d’une internationale, initiative remise à des jours meilleurs.

En 1873, le Libre penseur anglais, de la jeune NSS, Charles Bradlaugh, a traversé l’Atlantique pour une première tournée aux USA. Deux autres tournées ont assuré des contacts étroits entre la NSS et la National Liberal League of North America de Mortimer Bennett.

En 1879, César De Paepe a travaillé au rapprochement des sociétés anglaises et de la Libre Pensée de Belgique.

En 1880 les relations établies entre la NSS, la British Secular Union, la Liberal League of America, la Fédération Rationaliste Belge, la Libre Pensée de Bruxelles et les Libres penseurs de France et de Hollande étaient telles que, onze ans après Naples, les Libres penseurs ont pu disposer à leur tour d’une internationale alors que l’AIT, la première internationale ouvrière, avait sombré.

L.R. : Les Libres penseurs des différents continents partagent-ils réellement les mêmes principes et les mêmes objectifs ?

L.C. : Je vais risquer une image simple : la Libre Pensée est issue des coulées de lave successives de diverses compositions (humanistes, socialistes, francs-maçons, féministes, anarchistes, communistes, pacifistes), variables selon les époques et selon les pays.

Evidemment, être Libre penseur au Japon, aux Philippines, à Bombay ou à Madras n’impliqua pas les mêmes combats qu’être Libre penseur en France, en Allemagne, en Uruguay, au Mexique voire dans les puissantes organisations de Libres penseurs tchèques ou allemandes aux USA.

Il apparaît que les fondations universelles de cette activité multiple sont restées grosso modo celles qui ont été adoptées à Rome en 1904, confirmées à Paris en 1905, celles de la Charte Buisson.

La forme a varié mais le fond resta l’engagement contre l’oppression des dogmes, du sabre, du goupillon et du capital. La Libre pensée est restée une méthode. Ces éléments sont inscrits dans son ADN sur tous les continents, c’est ce qui ressortit des centaines de contributions que j’ai citées.

L.R. : Les Libres penseurs du monde entier revendiquent-ils et agissent-ils tous pour la séparation des Églises et de l’État ?

L.C. : La séparation des Églises et de l’État est une des trois campagnes internationales adoptées à Oslo en 2011. Elle demeure une des campagnes communes aux associations membres de l’AILP qui agissent pour le respect de la liberté de conscience donc pour la séparation des Églises ou des religions de l’État :

  • soit pour la préserver contre les prétentions de tous les intégrismes religieux, là où elle existe,
  • soit pour la faire adopter.

La publication à venir des Actes du Congrès de Paris de l’AILP livrera les contributions à ce sujet de Max Wallace, de Keith Porteus, de David Gozlan et de Paco Delgado.
Il faut bien sûr garder à l’esprit que les actions des Libres penseurs doivent prendre en compte la situation particulière à chaque pays. La déclaration « Violences et Religions » adoptée à Paris en septembre 2017 est explicite à ce sujet.

CongresAILP2017

L.R. : Les Internationales de la Libre Pensée sont-elles un long fleuve tranquille ou ont-elles eu des histoires tumultueuses ?

L.C. : Un long fleuve, oui. Une longue chaîne ininterrompue, oui. Un long fleuve tranquille ? Non. Ce long fleuve a connu des débuts difficiles, des périodes glorieuses, un âge d’or, des heures sombres pendant les deux guerres mondiales et enfin les années d’agonie de l’UMLP. Des coups durs ont été portés, venus de l’extérieur :

  • Toutes les forces de la réaction en ont asséné : Mussolini, Salazar, Franco, Pétain.
  • En 1933, la Libre pensée allemande a été détruite par les nazis, ce travail a été achevé par l’assassinat de Max Sievers en 1944.
  • De son côté, l’araignée vaticane a continué à tisser sa toile de reconquête cléricale là où elle avait perdu la main comme en France ou en Espagne. Elle a su garder le cap à travers plus de cent encycliques pour adapter ses prétentions totalitaires aux aléas de cette époque des guerres, des révolutions et de prodigieuses avancées scientifiques.

Des coups durs sont aussi venus de l’intérieur des organisations libres penseuses : ralliements à l’Union sacrée, constitution de la FILPP (l’Internationale des Sans-Dieu), entreprises liquidatrices des humanistes hollandais dénoncés par H.P. Pardon, acceptation du Pacte scolaire en Belgique et de la Laïcité ouverte en France. In fine, dans les années 1954-1966, l’Internationale a tangué, l’UMLP devenue une coquille vide est apparue à la croisée des chemins. La chaîne qui avait résisté à toutes les épreuves jusque-là a failli être rompue.

L.R. : A votre avis, quel est l’avenir de l’AILP ?

L.C. : L’AILP dispose maintenant de forces accrues sur des bases éprouvées et de porte-paroles sur tous les continents pour faire face à toutes les formes de dogmatisme et d’obscurantisme religieux. Elle a devant elle la poursuite des engagements du passé jusqu’à l’émancipation complète de l’Humanité, ce qui implique des initiatives en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient.

Autour de l’AILP, un nouvel âge d’or de la Libre Pensée peut naître si les forces libres penseuses ne se laissent pas détourner des bases adoptées en 1904 et si elles assument les tâches adoptées à Paris après Oslo, Mar Del Plata, Concepcion, Londres, Montevideo et Quito.

Les Libres penseurs et l’Internationale
L’Harmattan
356 pages - Prix : 35 €


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