La Raison 91, Numéro 67 : 11 novembre 2017, discours d’Olivier Thomas, maire de Marcoussis

mardi 6 mars 2018
par  lpEssonne
popularité : 17%

Cérémonie du 11 novembre 2017
Discours prononcé par M. Olivier Thomas, maire de Marcoussis

Monsieur le Président de la FNACA,
Capitaine Djénanne cheffe du 2e escadron du 121e régiment du Train,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le chef de la brigade des pompiers de Marcoussis,
Chers enfants élus du CME,
Pompiers et jeunes sapeurs pompiers,
Mesdames et Messieurs,

Nous sommes réunis ici au pied de notre monument aux morts, dont l’esplanade vient d’être rénovée, pour célébrer le 99e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918.

Depuis 2014, dans le cadre du centenaire de la Grande guerre, chaque année, avec l’association historique, l’Amaa, l’amicale philatélique, l’Amfai, le Syndicat d’initiatives, les écoles et les services de la commune, nous avons mis en place un cycle d’expositions et d’évènements, pour mieux comprendre la Première Guerre mondiale, sous tous ses aspects et notamment son impact sur notre village.

Sur les près de vingt millions de morts et davantage encore de blessés, La France a perdu près de 2 millions de ses enfants et enregistré 4 millions de blessés.

Parmi ces 2 millions de morts, 639 exactement, comme en témoignent les travaux du général Bach, ont été fusillés pour l’exemple, tirés au sort au hasard pour servir d’exemples à leurs frères d’armes.

639 combattants à qui, cent ans plus tard, on refuse toujours la mention de morts pour la France.

639 qui se sont pourtant battu mais dont l’exécution par nos propres soldats servait aux généraux à faire régner une discipline de fer.

639 dont les familles ont été marquées du sceau de l’infamie, parfois par pur hasard, souvent pour des broutilles, mais toujours par injustice.

639 dont les 6 fusillés de Vingré, qui pris dans une escarmouche en novembre 14 ont réussi à échapper aux Allemands, mais sont accusés injustement d’abandon de poste.

Aujourd’hui ils seraient traités en héros. En 1914, pour servir d’exemple, pour inciter les hommes à rester sur place plutôt qu’à s’échapper, les généraux décident d’en tirer 6 au hasard parmi toute l’escouade et de les faire fusiller.

Parmi eux le caporal Henry Floch qui écrit cette dernière lettre à sa femme Lucie.

« Ma bien chère Lucie,

Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi : le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.

Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi.
Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple.
Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans. Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…

Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.

Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout. »

639 Fusillés pour l’exemple, dont chaque année je rappellerai la mémoire.

639 sur 2 millions de morts, c’est peu, mais quand bien même il n’y en aurait qu’un seul, il serait juste de demander sa réhabilitation au fronton de la République.

639 !

2 millions de morts !

134 : Marcoussis, comme tous les villages de France, comme tous les villages d’Allemagne, comme de nombreux pays du monde engagés dans cette guerre mondiale, a payé un lourd tribut à cette guerre de position sur le sol français.

134, fauchés la plupart du temps, dans leur jeunesse, qui ne sont pas revenus dans notre village. Ce sont des dizaines d’autres qui revinrent blessés, blessés dans leurs corps, blessés dans leurs âmes, blessés à jamais de l’horreur de la guerre.

639, 2 millions, 130…

Des nombres, des décomptes, des numéros…

Mais derrière ces chiffres terribles, ce sont des visages, des noms, des vies…
Des noms qui seront appelés tout à l’heure, égrenés un à un, comme autant de pierres blanches qui marquent notre mémoire, comme autant d’empreintes de visages moulés dans l’argile pour commémorer les leurs, comme autant de colombes qui s’envoleront vers le ciel…

Vers le ciel. Vers le ciel justement.
« De n’importe où, on peut s’élancer vers le ciel » écrivit Sénéque.

Dans les enfants de Marcoussis mobilisés dans cette guerre, six l’ont été dans l’aviation.

Elie Védrenne, Emile Manon, Ambroise Buisson, soldats dans des groupes d’aviation, qui revinrent tous les trois au village.

Et trois qui ne revinrent jamais, disparus au combat : Paul Pinotier, qui fut charpentier dans l’aviation maritime, Marcel Mouton qui était seconde classe au 1er groupe d’aviation et Guy de Bammeville qui était pilote, lieutenant, mort au combat aérien le 20 septembre 1916 dans sa 21e année.

La Première Guerre mondiale fut le théâtre de la première guerre aérienne. L’aviation est encore balbutiante en ce début du siècle mais très vite, d’abord pour des missions d’observation des lignes ennemies, puis rapidement pour des missions de combat, elle est devenue un enjeu stratégique.

Dans cette drôle de guerre de positions où les lignes ennemies se font fronts et semblent parfois immuables, tant chaque mètre au sol fait l’objet de combats acharnés, dans cette guerre enlisée dans la terre alourdie des obus, dans cette guerre, c’est dans le ciel que cela bouge le plus vite.

C’est dans le ciel que nos poilus aperçoivent au-dessus de leurs casques ces drôles de machines faites de bois et de toile, légère comme des guêpes, fines comme des cigognes.

Je ne sais pas si vous avez vu ces avions, mais il faut être passionné pour s’y aventurer.

Guy de Bameville est un de ceux-là.

Mobilisé à 20 ans dans l’infanterie, sachant piloter une automobile, ce qui est déjà rare pour l’époque, il devient élève pilote et passe son brevet militaire le 12 mars 1916. Il est alors enrôlé dans la fameuse escadrille 26, dite escadrille des cigognes, dans laquelle servait Roland-Garros qui mourut aussi en combat aérien en octobre 1918 et qui fut l’inventeur du tir au travers des hélices.
Bammeville est un des premiers pilotes des avions Nieuport qui remplacèrent les Morane-Saulnier des débuts de l’escadrille.

Le 6 septembre 1916 il inaugure un Nieuport lors d’une mission de reconnaissance en compagnie de 3 autres appareils.
Le 12 c’est une nouvelle mission au-dessus des lignes ennemies aux alentours de Péronne dans la Somme. Le 13 septembre il livre son premier combat aérien seul face à quatre Drachen allemands qu’il force tous les quatre à se poser.
Le 20 septembre il se trouve à nouveau dans le ciel de Péronne sur un nouvel appareil, le Nieuport 21 livré la veille. Il engage le combat face à un avion Allemand mais est touché par un tir venant du sol de la DCA allemande. Blessé gravement il réussit néanmoins à se poser au milieu des lignes allemandes entre Chaulnes et Morchain. Il est fait prisonnier mais succombe à ses graves blessures à l’âge de 21 ans et 3 mois.
A travers la mémoire de Guy de Bammeville, dont je salue la famille ici présente, je veux bien sûr comme chaque année honorer la mémoire de toutes les victimes de cette guerre.
Quelle folie que cette guerre, dont les généraux étaient formés aux combats à cheval mais qui verra l’avènement des premiers tanks, des véhicules motorisés et des premiers avions assemblés de quelques clous.

Quelle folie dans cette folie qu’est l’aviation de l’époque.

Ces pilotes, comme le jeune Bammeville, tutoyaient la mort et se lançaient dans des combats aériens, comme jadis les chevaliers dans les tournois. Avec respect de leurs adversaires, aussi aventureux qu’eux-mêmes, tel le célèbre baron rouge, aussi passionnés par ses débuts de l’aviation et par cette ivresse des premiers vols, cette ivresse de liberté.

Quel choc entre cette formidable aventure, ce frisson de liberté infinie et cette terrible guerre.

Et je pense aux paysages désolés de la Somme, cent mille fois bombardées qu’ont dû observer Guy de Bammeville lors de ses vols.

Au sol, tout est noir des trous d’obus, plus un arbre, plus rien qui ne bouge, des hommes terrés dans les tranchées…

Au ciel, l’infini du bleu, l’ivresse des profondeurs, la légèreté de l’air, le rêve d’Icare.

L’homme est-il un animal comme les autres ?

Telle est la question thème de notre festival de philosophie qui a démarré hier soir.
L’homme est un animal c’est indubitable. Mais quel animal est-il capable ainsi du pire comme du meilleur ?

Quel animal est-il capable d’envoyer ses congénères se faire fusiller pour l’exemple ?

Quel animal est capable d’imaginer, de concevoir, de construire et de chevaucher une machine qui imite d’autres animaux ? De rêver d’être un oiseau ?

Aucun autre animal n’est aussi destructeur et aussi inventif.

Et c’est justement cette inventivité, cette puissance de création et ce petit grain de folie qui porte en nous l’espoir.

C’est ce petit grain de folie qui habite les pilotes de l’association Jean-Baptiste Salis qui vont apparaître dans le ciel sur d’authentiques avions de cette Grande guerre, et que je remercie mille fois de cet hommage en hélice à Guy de Bammeville

C’est ce petit grain de folie qui fait de nous des animaux capables d’espérer…

Capables de nous souvenir ensemble du pire, pour imaginer demain le meilleur, inlassablement,

Capables de lever les yeux vers le ciel,
De penser à Guy, à Marcel et à Paul,

De lever les yeux vers le ciel
De penser à la vie, à la jeunesse, à la Paix

De lever les yeux vers le ciel
Dans le silence assourdissant des hélices
Qui battent l’air comme nos cœurs la chamade

De lever les yeux vers le ciel…

***


Les articles signés n’engagent que leur auteur. Nos lecteurs peuvent les utiliser en citant source et auteur, lequel conserve la propriété intellectuelle de ses écrits.


Agenda

Array

<<

2020

>>

<<

Décembre

>>

Aujourd’hui

LuMaMeJeVeSaDi
30123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
28293031123
Aucun évènement à venir les 6 prochains mois