RECIT D’UN SOLDAT BRETON QUI A FAIT PARTIE D’UN PELOTON D’EXECUTION

DEUX SOLDATS NORMANDS FUSILLES
samedi 20 octobre 2018
par  LP 14
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Le 18 octobre 1915, un soldat breton du 410ème Régiment d’Infanterie doit faire partie d’un peloton d’exécution qui doit passer par les armes deux soldats du 403ème RI.
Pour éviter des scènes de révolte parmi les camarades du régiment, il avait été fait appel à un régiment frère. A juste raison, sans doute, car 3 mois plus tôt, le 14 août, un peloton d’exécution du 403è avait été formé pour fusiller un soldat du régiment, Maurice Beaury.
Pour ce jour d’octobre, la hiérarchie militaire avait informé les Bretons qu’ils devaient exécuter deux lâches qui avaient refusé de monter à l’assaut et, ce même jour, les survivants du 403ème RI, moins les 2 soldats destinés au peloton d’exécution, sont envoyés au repos.

Edouard Luby, originaire de Rennes a fait partie de ce peloton d’exécution. Il a 21 ans. Après la guerre, Edouard Luby, qui avait été amputé d’une jambe, s’installe à Lannion, où il est enseignant. Il laisse un carnet de notes de ses nombreux mois passés au front, carnet qui sera remis des décennies plus tard à Roger Laouenan, un ancien journaliste du Télégramme de Brest. Celui-ci s’est fait l’historien des fusillés Bretons et il a écrit un livre « les Bretons dans la Grande Guerre. Le poilu des tranchées (éditions Coop Breiz).

Cette relation est extraite du livre de Roger Laouénan. Le Télégramme de Brest avait reproduit cet extrait dans le quotidien, en 2009.
C’est un témoignage rare car Edouard Luby est bavard et a littéralement mis en scène l’exécution. Il existe d’autres carnets de poilus qui écrivent qu’ils ont dû participer à un peloton d’exécution, mais plus sobres, ils se contentent de dire qu’ils en sont revenus tout pâles.

« le 18 octobre 1915. Ce matin, j’ai fait partie d’un peloton d’exécution. Nous avons fusillé deux soldats du 403e RI qui avaient refusé, par deux fois, de sortir à l’assaut lors de l’attaque du 25 septembre. Parti à 3 heures de la Charmeresse, ce n’est arrivé qu’à un kilomètre de Chaudefontaine que le capitaine nous annonça l’abominable corvée qui nous incombait. On forma aussitôt deux pelotons d’exécution : 5 sergents, 4 caporaux et 5 hommes par pelotons. Le tout commandé par Chevanton. Nous nous disposons sur deux rangs, devant et à huit mètres environ des poteaux d’exécutions, la compagnie derrière, une du 17e et un escadron de dragons. Cinquante hommes commandés par le sous lieutenant Hemery allèrent prendre les deux condamnés amenés tous près par une voiture. Ils se présentèrent devant nous, calmes et nous regardant fièrement. Nous avions déjà chargé nos fusils et tous les autres présentèrent les armes. Ils donnèrent une poignée de main à l’aumônier qui les accompagnait et le plus petit s’assit tranquillement devant le poteau en croisant les bras. Deux hommes de chez nous leur bandèrent les yeux et les attachèrent au poteau à l’aide d’une corde. Le plus petit dit « inutile de m’attacher ; je ne bougerai pas ». Chevanton retira son sabre pour nous commander de mettre en joue. Ils entendirent le bruit du sabre dans le fourreau, car l’un deux cria aussitôt : « Vive la France ! ». Le sabre retomba. Tout était fini. Plus un mouvement, plus rien que deux loques humaines. Nous défilons devant eux. J’étais tellement émotionné que je ne vis rien et n’entendis rien. Je ne pus même pas prendre la ligne de mire. Enfin, ils sont morts courageusement. Mais ce n’est pas pour eux le plus terrible, c’est pour leurs pauvres parents lorsqu’ils savent que leur fils est mort en lâche. Plutôt me laisser périr à petit feu ».

Il ressort de ce témoignage qu’Edouard Luby, bien que bon patriote comme il se doit, est plutôt secoué. Le courage lui manque à son tour à l’idée qu’il faudra informer les parents.
Nous n’avons pas les noms des deux condamnés mais la date du 18 octobre nous met sur la piste : Ce jour-là, les fusillés sont Maurice Dizay et André Talbot.

Maurice Dizay est le plus grand, il mesure 1,66 mètres, il est né à Ryes puis réside à St Vigor le Grand, près de Bayeux, dans le Calvados. Né le 13 août 1895, il a 20 ans.
Avant d’arriver sous les drapeaux, il était domestique à Sannerville.

André Talbot, le plus petit, mesure 1,63 mètres, né le 20 décembre 1892 au Havre, il a 23 ans.
Avant d’arriver sous les drapeaux, il était garçon de salle au Havre.

Dans les minutes des deux jugements du 16 octobre, on relève que les témoins cités sont blessés ou morts, car les combats ont continué. Tous, sauf un, qui témoigne à l’audience de Maurice et qui n’accable pas son camarade. On essaie de faire dire à ce témoin que Maurice était un ivrogne puisqu’il avait eu une punition à ce sujet. Il répond que non, il ne buvait pas plus que les autres, et non, il n’avait pas remarqué qu’il était plus peureux que d’autres.
Mais le capitaine Bablot, glorieux St Cyrien très décoré, a fait ses rapports. Pour lui, aucun doute, ces deux soldats sont de mauvais soldats, des couards. Donc à fusiller, ce qui sera fait deux jours plus tard. Il est à noter que si des soldats sont morts entre le 25 septembre et les procès, le capitaine et son chef de brigade sont toujours là et, 3 mois plus tôt, il avaient déjà écrit leurs rapports contre Maurice Beaury.
Celui-ci avait outragé son capitaine, qui manifestement n’était pas apprécié par la troupe, en le menaçant et le traitant de fainéant…
(2 autres compagnons de Beaury échappent à la mort mais écopent du bagne)

Cf le site MEMOIRE DES HOMMES : les minutes des deux jugements et les pièces de procédure existent. Quelques notes au crayon qui sont sans doute prises à l’audience permettent d’entendre la voix de ces deux soldats, sans doute hébétés et tétanisés, qui ne se défendent pas. André Talbot ne comprend pas ce qui lui est arrivé ce jour-là, alors qu’il a déjà été au feu. Maurice Dizay répète plusieurs fois qu’il a eu peur et demande à se racheter en retournant au front. En vain.

Les fonds d’archives de ces procès ont été mis en ligne à la disposition du public. C’est Monsieur Hollande qui nous permet de porter un jugement effaré sur cette justice implacable, et les documents sont accablants pour la hiérarchie militaire. Beaucoup de noms sont cités dans ces dossiers de justiciers et nous nous félicitons lâchement de ne pas y retrouver le nom d’un aïeul…

Mais François Hollande n’est pas allé plus loin, sans doute pour faire une synthèse : Après s’être prononcé favorablement pour la réhabilitation, il oppose, en tant que Président de la République, chef des Armées, un refus implicite.
Quant au nouveau locataire de l’Elysée, il a d’ores et déjà raté son rendez-vous avec l’Histoire pour le centenaire de l’armistice : en novembre, il ira célébrer sur le terrain (en tenue militaire ?) les premiers de cordée, les maréchaux, ceux qui n’ont jamais faibli, jamais failli.


Le nom du soldat Beaury figure sur une stèle des morts pour la France en l’église de la Trinité, à Angers. Les corps des soldats Dizay et Talbot, ont été transférés, sans distinguo sur leur façon de mourir, dans la nécropole nationale de Ste Menehoulde. Le capitaine Bablot n’aura pas eu le loisir de connaître la suite : il a été tué quelques mois avant l’armistice.


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