Baron d’Holbach : "Le bon sens" (1772)

samedi 6 octobre 2007
par  LpVar
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Baron d’Holbach – « Le bon sens » – 1772

Origine de la superstition
Comment a-t-on pu parvenir à persuader à des êtres raisonnables que la chose la plus impossible à comprendre était la plus essentielle pour eux ? C’est qu’on les a grandement effrayés : c’est que, quand on a peur, on cesse de raisonner ; c’est qu’on leur a surtout recommandé de se défier de leur raison : c’est que, quand la cervelle est troublée, l’on croit tout et l’on n’examine plus rien.

Origine de toute religion.
L’ignorance et la peur, voilà les pivots de toute religion. L’incertitude où l’homme se trouve par rapport à son Dieu, est précisément le motif qui l’attache à sa religion. L’homme a peur dans les ténèbres, tant au physique qu’au moral. Sa peur devient habituelle et se change en besoin ; il croirait qu’il lui manquerait quelque chose s’il n’avait rien à craindre.

Avec la religion, des charlatans exploitent la folie des hommes.
Celui qui, dès son enfance, s’est fait une habitude de trembler chaque fois qu’il entend prononcer certains mots, a besoin de trembler : par là même il est plus disposé à écouter celui qui l’entretient dans ses craintes que celui qui tenterait de le rassurer. Le superstitieux veut avoir peur, son imagination le demande ; on dirait qu’il ne craint rien tant que de n’avoir rien à craindre.

Les hommes sont des malades imaginaires, que des charlatans intéressés ont soin d’entretenir dans leur folie, afin d’avoir le débit de leurs remèdes. Les médecins qui ordonnent un grand nombre de remèdes sont bien plus écoutés que ceux qui recommandent un bon régime, ou qui laissent agir la nature.

La religion séduit l’ignorance à l’aide du religieux.
Si la religion était claire, elle aurait bien moins d’attrait pour les ignorants. Il leur faut de l’obscurité, des mystères, des frayeurs, des fables, des prodiges, des choses incroyables qui fassent perpétuellement travailler leurs cerveaux. Les romans, les contes bleus, les récits des revenants et des sorciers ont bien plus de charmes pour les esprits vulgaires que des histoires véritables.

En matière de religion, les hommes ne sont que de grands enfants. Plus une religion est absurde et remplie de merveilles, plus elle acquiert de droits sur eux ; le dévot se croit obligé de ne mettre aucun terme à sa crédulité : plus les choses sont inconcevables, plus elles lui paraissent divines ; plus elles sont incroyables, et plus il s’imagine qu’il y a pour lui du mérite à les croire.

L’origine des opinions religieuses date pour l’ordinaire du temps où les nations sauvages étaient encore dans l’état de l’enfance. Ce fut à des hommes grossiers, ignorants et stupides que les fondateurs de religion s’adressèrent en tous temps pour leur donner des Dieux, des cultes, des mythologies, des fables merveilleuses et terribles. Ces chimères, adoptées sans examen par les pères, se sont transmises, avec plus où moins de changements, à leurs enfants policés qui, souvent, ne raisonnent pas plus que leurs pères. Les premiers législateurs des peuples eurent pour objet de les dominer : le moyen le plus facile d’y parvenir fut de les effrayer et de les empêcher de raisonner : ils les conduisirent par des sentiers tortueux afin qu’ils ne s’aperçussent pas des desseins de leurs guides ; ils les forcèrent de regarder en l’air, de peur qu’ils ne regardassent à leurs pieds.

De l’existence de Dieu. Peut-on se dire sincèrement convaincu de l’existence d’un être dont on ignore la nature, qui demeure inaccessible à tous les sens, et dont on assure à chaque instant que les qualités sont incompréhensibles pour nous ? Pour que l’on me persuade qu’un être existe ou peut exister, il faut commencer par me dire ce que c’est que cette être ; pour m’engager à croire l’existence ou la possibilité d’un tel être, il faut m’en dire des choses qui ne soient pas contradictoires et qui ne se détruisent pas les unes les autres. Enfin pour me convaincre de l’existence d’un tel être, il faut m’en dire des choses que je puisse comprendre et me prouver qu’il est impossible que l’être auquel on attribue ces qualités n’existe pas.

Une chose est impossible quand elle renferme deux idées qui se détruisent réciproquement et que l’on ne peut ni concevoir ni réunir par la pensée. L’évidence ne peut se fonder, pour les hommes, que sur le témoignage constant de nos sens qui seuls nous font naître des idées et nous mettent à portée de juger de leur convenance ou de leur incompatibilité. Ce qui existe nécessairement est ce dont la non-existence impliquerait contradiction. Ces principes reconnus de tout le monde sont en défaut dès qu’il s’agit de l’existence de Dieu ; tout ce qu’on en a dit jusqu’ici est soit inintelligible ou se trouve parfaitement contradictoire, et par là même doit paraître impossible à tout homme de bon sens.

L’existence de Dieu n’est pas prouvée.
Toutes les connaissances humaines se sont plus ou moins éclaircies et perfectionnées. Par quelle fatalité la science de Dieu n’a-t-elle jamais pu s’éclaircir ? Les nations les plus civilisées et les penseurs les plus profonds en sont là-dessus au même point que les nations les plus sauvages et les rustres les plus ignorants : et même en regardant les choses de près, nous trouverons que la science divine, à force de rêveries et de subtilités, n’a fait que s’obscurcir de plus en plus.

Jusqu’ici toute religion ne se fonde que sur ce qu’appelle des « pétitions de principes » ; elle suppose gratuitement, et prouve ensuite par les suppositions qu’elle a faites.

Dire que Dieu est un esprit, c’est parler pour ne rien dire.
A force de métaphysiquer l’on est parvenu à faire de Dieu un pur esprit ; mais la théologie moderne a-t-elle fait en cela un pas de plus que la théologie des sauvages ? Les sauvages reconnaissent ungrand esprit pour le maître du monde. Les sauvages, ainsi que tous les ignorants, attribuent à desespritstous les effets dont leur inexpérience les empêche de démêler les vraies causes. Demandez à un sauvage ce qui fait marcher votre montre ? il vous répondra : c’est un pur esprit. Demandez à nos docteurs ce qui fait marcher l’univers ? ils vous diront : c’est un pur esprit.

Le sauvage, quand il parle d’un esprit, attache au moins quelque sens à ce mot. Il entend par là un agent semblable au vent, à l’air agité, qui produisent invisiblement des effets qu’on aperçoit. A force de subtilités, le théologien moderne devient aussi peu intelligible pour lui-même que pour les autres. Demandez lui ce qu’il entend par un Esprit ? il vous répondra que c’est une substance inconnue, qui est parfaitement simple, qui n’a point d’étendue, qui n’a rien de commun avec la matière. En bonne foi, est-il aucun mortel qui puisse se former la moindre idée d’une substance pareille ! un esprit dans le langage de la théologie moderne est-il donc autre chose qu’une absence d’idées ?

N’est-il pas plus naturel et plus intelligible de tirer tout ce qui existe du sein de la matière, dont l’existence est démontrée par tous nos sens, dont nous éprouvons les effets à chaque instant, que nous voyons agir, se mouvoir, communiquer le mouvement et générer sans cesse, que d’attribuer la formation des choses à une force inconnue, à un être spirituel qui ne peut pas tirer de son fond ce qu’il n’a pas lui-même, et qui par l’essence spirituelle est incapable de rien faire et de rien mettre en mouvement ?


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