"Laïcité et Droits de l’Homme" par Jean-Pierre Mouveaux

samedi 3 décembre 2016
par  lpOise
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Nous publierons toutes les interventions au colloque "Tolérance et Laïcité", dans l’ordre où nous les recevrons.

Laïcité et Droits de l’Homme - Intervention de Jean-Pierre Mouveaux, LDH de Creil

Le principe de laïcité est proclamé dans le 1er article de la Constitution de la 5ème République qui se réfère dans son préambule à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ainsi qu’à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Ainsi la laïcité apparaît comme une conséquence des Droits de l’Homme au même titre que la devise de la République : liberté, égalité et fraternité.

En réglant la question des rapports de la société et du pouvoir politique, la laïcité apparaît donc comme un principe essentiel de liberté des citoyens et de fonctionnement démocratique des institutions. Elle intervient également dans les rapports des citoyens entre eux.
Il est coutume de dire que la laïcité établit la distinction entre la sphère publique et la sphère privée.

La sphère privée est un espace personnel de liberté dont le citoyen n’a pas à rendre compte sous réserve de ne pas porter atteinte à l’intégrité et à la liberté d’autrui. Pourtant, cet espace de liberté est menacé, il se réduit avec le développement des technologies de la communication et la réapparition de lois sécuritaires. De plus en plus menacé, le droit à la vie privée énoncé par l’article 12 de la Déclaration Universelle est sous surveillance, la vie privée en liberté conditionnelle : mise en fiches électroniques et commutation des fichiers, caméras de surveillance, voisins vigilants, possibilités de perquisition sans commission rogatoire etc.

En ce qui concerne la sphère publique, une distinction nous semble s’imposer entre ce que nous appellerons la sphère publique institutionnelle d’une part et la sphère publique citoyenne d’autre part.

La sphère publique institutionnelle se définit comme le domaine de l’Etat, des institutions républicaines qui ne souffrent par principe d’autres influences que celles issues du fonctionnement démocratique. Dans la sphère publique institutionnelle sont inclus les services publics qui obligent les fonctionnaires à la neutralité républicaine permettant des services égaux pour tous sans distinction.

Lorsqu’en 1882 Ferdinand Buisson définit pour la première fois la laïcité dans son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, il s’agit de s’opposer à l’église catholique qui, alliée à l’armée et à la grande bourgeoisie exerce un quasi monopole sur l’éducation et intervient dans les affaires de l’Etat pour imposer ses règles. Pour Ferdinand Buisson, il s’agissait donc de libérer une institution de l’Etat, en l’occurrence l’école et de former des citoyens à la pensée critique, des citoyens libérés des dogmes imposés mais libres de pratiquer une religion. Ferdinand Buisson citait dans son ouvrage l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul ne peut exercer l’autorité qui n’en émane expressément. »

La sphère publique institutionnelle, lieu du pouvoir du peuple, toujours menacée d’infiltration par des groupes d’intérêts particuliers, requiert une vigilance constante des citoyens.

La sphère publique citoyenne  

C’est l’espace ordinaire des activités de tous les jours, c’est l’espace de la communication et des échanges, où se rencontrent les personnes, où se confrontent des individualités où l’on se côtoie, on coopère dans le travail, les activités diverses. C’est l’espace de la vie civile, ce sont les espaces communs ou partagés. C’est le lieu où s’élabore et se manifeste ce qu’on appelle « l’opinion publique ». Mais c’est aussi le lieu du droit à la différence, lieu où chacun est confronté à la différence de l’autre, c’est le lieu où se joue le jeu de la tolérance ou de l’intolérance dans un espace de règles communes. La question de la tolérance se pose lorsque survient une situation qui nous gène et vient perturber notre paysage familier à condition que cette situation ne porte pas atteinte à notre dignité, à nos droits et à ceux d’autrui. La sphère publique citoyenne est le lieu de la liberté d’expression et de manifestation des idées, des opinions et des croyances mais c’est aussi le lieu de la liberté d’expression de la critique de ces mêmes idées, opinions et croyances.

Dans ce schéma, quelles menaces sur la laïcité ?

Aujourd’hui la religion catholique n’a plus de monopole, le paysage religieux s’est diversifié et des groupes de pression religieux se sont multipliés dans la tentative d’étendre leur influence dans les lieux du pouvoir jusque dans les institutions européennes. Dans le même temps la conquête de l’opinion publique reste un enjeu de pouvoir dans la sphère publique citoyenne et le prosélytisme demeure actif, facilité par les techniques modernes de communication. La vigilance demeure nécessaire vis-à-vis des tentatives d’y imposer des lois et des règles religieuses, quelles qu’en soient les origines. Cesser notre vigilance serait un abandon de la démocratie mais ce serait aussi, d’une certaine façon trahir celles et ceux qui résistent au péril de leur liberté et de leur vie aux dictatures religieuses du Moyen-Orient et d’ailleurs.

Cependant la pénétration des instances du pouvoir et la conquête de l’opinion publique ne sont pas le monopole des religions. Régulièrement sont dénoncés des projets de loi inspirés ou même rédigés par des organismes industriels et financiers qui en sont eux-mêmes les bénéficiaires. La sphère publique institutionnelle n’est plus garante de l’intérêt général lorsque la loi est dictée par des intérêts financiers qui lui sont étrangers. Quant à la sphère publique citoyenne, elle n’est pas épargnée pour autant : dans les dernières décennies sévit un nouveau clergé, celui des spécialistes, des experts chargés de dispenser des dogmes officiels, économiques et politiques, le clergé des communicants, fabricants d’éléments de langage et de storytelling, inventeurs de récits qui tiennent lieu d’information, chargés de manipuler l’opinion publique pour la rendre docile à son propre asservissement.

Le principe de laïcité nous oblige, me semble t-il, à étendre notre vigilance au-delà des religions, il nous oblige à nous opposer à tous les clercs religieux ou non, prétendus porteurs d’une vérité officielle, il nous oblige à nous opposer à tous les dogmatismes fussent-ils laïques.

La laïcité est la condition de la liberté de pensée, elle implique la possibilité de disposer d’une information fiable, de la liberté de juger et de critiquer, de la possibilité d’exprimer un jugement et un choix personnels. Elle est une condition de la démocratie et de la possibilité de vivre ensemble avec nos différences.

une laïcité OGM est-ce encore la laïcité ?

La laïcité, comme je l’ai dit en préambule ne peut être dissociée de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité dont elle permet la mise en Å“uvre concrète. Pourtant, depuis quelques années, on découvre une sorte de conception hors-sol de la laïcité, une caricature de laïcité développée par des mouvements opposés aux Droits de l’Homme et aux principes républicains. On voit depuis quelques années fleurir des mouvements identitaires qui brandissent la laïcité pour justifier une rhétorique de la haine. On voit apparaître un Front National se proclamant champion de la laïcité, criant au communautarisme à l’apparition d’un Coran, on voit des organisations diverses telles que Riposte laïque, Résistance républicaine et d’autres encore accueillant parfois certains transfuges de la gauche pour dénoncer des invasions étrangères fantasmées.

Assez curieusement ces prétendus défenseurs de la laïcité ne dédaignent pas le renfort de mouvements religieux plus ou moins intégristes pourvus que ceux-ci soient chrétiens. Ils revendiquent avec constance les racines chrétiennes de la civilisation occidentale. Ils réduisent la laïcité à une arme contre l’Islam tandis qu’ils ne voient pas d’objection à l’installation de crèche dans une mairie.

Ces organisations s’opposent avant tout à la notion d’universalité, à la notion d’égalité en droit et en dignité de tous les êtres humains ainsi que le proclame le premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Ils rejettent la multiculturalité. Bien sûr, dans cette mouvance, il y a le racisme bien connu, épidermique, bas du front, avec ses effluves d’ignorance et de bêtise. Ce même racisme qui nous oblige à réagir lorsque des joueurs de foot ou une ministre de la justice se font insulter en raison de leur couleur de peau. Mais le racisme a des formes plus subtiles : il prend la forme de la xénophobie, du rejet de la différence. C’est le cas du Front National qui hurle au communautarisme dès qu’on revendique le droit à la dignité pour des populations particulières. Sur ce point, il est certainement nécessaire d’apporter une précision.

Le fait communautaire est une réalité sociale : chaque individu se développe dans la diversité de ses appartenances à des groupes sociaux multiples qui peuvent varier à divers moments de sa vie, groupes dans lesquels se développent des liens culturels et aussi des rapports d’entraide, des solidarités. Chaque personnalité se nourrit au cours de son existence de la diversité de notre société multiculturelle. Le communautarisme apparaît lorsqu’un groupe se ferme, se coupe des contacts avec l’extérieur, devient exclusif et revendique pour son propre compte des règles et des lois dérogatoires au droit commun.
Pour le FN, le principe de laïcité s’applique prioritairement aux organisations musulmanes. On peut lire dans le guide pratique de l’élu Front National aux élections municipales en page 67 la consigne suivante :

« Votez « CONTRE » toutes les demandes d’associations communautaristes – au nom du principe de la laïcité - (associations musulmanes qui souhaitent organiser une fête pour la fin du Ramadan…).
Mais attention, si une association n’est pas communautariste, elle peut être politisée. Aussi le Front National donne immédiatement une autre consigne :

Votez « CONTRE » toutes les subventions à des associations politisées (LICRA, MRAP, Ligue des Droits de l’Homme, SOS RACISME…). »

Ces associations sont essentiellement des associations de défense des Droits de l’Homme comme on peut le constater. En effet, défendre l’égalité des êtres humains, l’égalité de leurs droits, c’est s’opposer aux positions du Front National c’est donc « faire de la politique » car, comme chacun sait, le FN ne fait pas de politique puisqu’il se dit ni de droite, ni de gauche.

L’élu Front National dispose donc de quelques règles simples qu’il lui suffit d’appliquer pour écarter les importuns.

L’importun désigné, c’est l’envahisseur étranger qui offre l’avantage d’alimenter les fantasmes. Dans un temps récent, il a été Rom, aujourd’hui ce dernier est remplacé par un personnage plus flou, dont on ne connaît pas toujours l’origine : il est migrant. Puisqu’il n’a pas de visage, on peut aisément le soupçonner d’être à la fois musulman, terroriste et violeur. A-t-il même figure humaine ? Dans cette société qui nous est proposée, il ne s’agit plus de vivre ensemble avec nos différences, il s’agit désormais de ne plus être importuné par cet autre dont la différence nous gêne et qu’une certaine idéologie nous désigne comme une menace. Il s’agit de se protéger derrière des frontières, des murs et des barbelés. Vivre ensemble oui, mais uniquement entre nous.
A cet égard, Joël Roman, membre du conseil scientifique de la fondation Terra Nova et de la fondation Jean Jaurès écrit :

« On a vu l’idée d’un droit à la différence changer de sens et de revendication d’une légitime diversité culturelle devenir l’étendard d’un identitarisme ethnoculturel fermé.[…] Ce n’est pas la même chose de défendre la diversité culturelle contre l’homogénéisation culturelle qui dépend de la mondialisation et de prôner un développement séparé des cultures au nom de leurs identités respectives. » (Pluralisme culturel, Eux et Nous, « le monde qui vient », p.213)

En réalité, l’idéologie d’extrême-droite se nourrit d’un mal plus profond que certains nomment « allophobie » qui se traduit par la haine de la différence, la peur de l’autre venu d’ailleurs, la peur de perdre son identité. Déjà, pendant la première guerre mondiale les réfugiés de Belgique et du Nord de la France étaient appelés « les boches du nord » accusés de venir profiter des aides allouées aux réfugiés. D’autres réfugiés, d’autres migrants ont suivi au cours du 20ème siècle déclenchant l’hostilité d’une partie de nos concitoyens avant de s’intégrer dans la population française. Aujourd’hui le migrant, chassé par la terreur, la guerre ou la misère vient d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient. Mais cette allophobie n’est pas dirigée uniquement contre les étrangers, les migrants, les demandeurs d’asiles, les réfugiés économiques ou politiques. L’allophobie se manifeste aussi par le mépris que subissent certains de nos concitoyens, les victimes du chômage qualifiées d’assistées, le mépris de ceux qui ont des modes de vie différents, de ceux qui ont été atteints par la vie, de ceux qui font tache dans le paysage confortable et lissé des ghettos bien-pensant. C’est ainsi qu’on a vu chasser les mendiants de certains centres-villes, modifier les bancs publics pour empêcher les SDF d’y dormir, on a vu incendier des lieux d’accueil. Faute de chasser la pauvreté, on chasse les pauvres, quitte à les dresser les uns contre les autres en s’accusant mutuellement de bénéficier de privilèges et de passe-droits. L’allophobie, c’est le rejet de l’autre et aujourd’hui, il prend souvent la forme de ce qu’on pourrait appeler un racisme anti-pauvre. Ce n’est pas encore l’épidémie mais le mal tend à se répandre si nous n’y prenons garde. C’est sur ce terrain que l’extrême-droite prospère.

Il s’agit aujourd’hui d’occuper le terrain que nous avons peut-être trop laissé à d’autres. Nous avons peut-être pensé à tort que nos principes républicains étaient acquis. Aujourd’hui on entend davantage ceux qui travaillent à les détruire que ceux qui travaillent à les faire vivre. Pourtant on voit des citoyens s’opposer aux violences, aux proclamations de mépris, de rejet ou de haine. On voit partout en France, en Europe et ailleurs des citoyens s’organiser pour soutenir et venir en aide quotidiennement aux plus misérables sans considération d’origine, d’opinion ou de religion. Ils revendiquent la liberté et l’égalité, ils font vivre la solidarité et la fraternité. Nous devons promouvoir les actions et les faire connaître, faire connaître ceux qui agissent, qui ne sont pas forcément des militants mais qui travaillent à abattre les murs et établir des ponts entre les humains.

La laïcité c’est la possibilité de vivre ensemble non pas malgré nos différences mais avec nos différences, ces différences qui nous gênent souvent mais nous font grandir. Inséparable des Droits de l’Homme et des principes de la République, la laïcité permet à l’individu d’advenir au travers de ses appartenances multiples, linguistiques, culturelles, professionnelles, politiques, religieuses etc. La laïcité s’oppose tout à la fois au communautarisme et à l’individualisme, elle permet à l’individu d’échapper à ses déterminismes sociologiques et de progresser, de devenir ce qu’il est lorsqu’il s’est pénétré de la culture de l’autre. C’est la condition qui garantit l’unité nationale, la possibilité de vivre ensemble en reconnaissant à chaque individualité sa singularité, sa différence à égalité de droits et de dignité. Ainsi peuvent être dépassés les clivages et les affrontements entre clochers, entre cultures, entre religions, entre partis, entre populations…

La laïcité n’a de sens que si elle reste adossée aux Droits de l’Homme. En rédigeant ce texte, je pensais à ces femmes iraniennes qui résistent à la dictature religieuse et revendiquent entre autres la liberté de porter ou de ne pas porter le hijab. Là où une femme vient d’être pendue au nom l’Allah le miséricordieux pour avoir tenu des propos jugés athées, d’autres s’engagent pour le droit de vivre dans la dignité en s’opposant aux lugubres tartufferies des mollahs. On peut trouver leurs témoignages sur le site « Stealthy Freedom ». Dans une dictature ou l’Etat exerce son contrôle sur la sphère publique institutionnelle mais aussi sur la sphère publique citoyenne et sur la sphère privée, des hommes et des femmes préservent et défendent des espaces de Liberté, d’Egalité, de Fraternité, de Laïcité au risque de leur vie et nous rappellent que les valeurs de la République ne peuvent vivre que par la volonté des citoyens. Ils nous rappellent aussi que les Droits de l’Homme ne sont jamais acquis, qu’ils sont sous la sauvegarde de citoyens qui les exigent pour eux-mêmes mais aussi pour autrui.


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