Fusillés pour l’exemple, Réhabilitation !

dimanche 29 novembre 2015
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11 novembre 2015 à Breteuil sur Iton discours de la Ligue des droits de l’Homme et de la Libre Pensée

Mesdames, messieurs, monsieur le Maire, chers amis, chers camarades,

Compte tenu des contraintes de temps, nous avons convenu avec la LDH que j’interviendrais au nom de nos deux associations. Bernard Parisot qui est prêt de moi, interviendra tout à l’heure devant la tombe du caporal Henry Floch.

Nous voudrions, tout d’abord, exprimer nos remerciements pour l’accueil que monsieur le Maire et la commune de Breteuil nous réservent aujourd’hui.

Charleroi, le 22 août 1914, le jour le plus sanglant de l’Histoire de France : 27 000 morts. La guerre n’avait que 19 jours.

Sans artillerie lourde, mais écrasée sous les obus allemands, fauchés par les mitrailleuses, les malheureux soldats français refluent dans le désordre, s’égarent, leurs officiers tués.

La responsabilité en incombe à la nouvelle stratégie de l’Etat-Major autour de Joffre : offensive à outrance, corps à corps à la baïonnette, « au prix de sacrifices sanglants », dans « l’effusion sanglante » selon les mots du Général Foch, l’inspirateur de cette stratégie.
« Un art militaire simpliste et une ignorance absolue de l’adversaire ! » selon le jugement d’un autre général.

Et connaissant pourtant le plan allemand d’attaque par la Belgique, Joffre masse l’essentiel de l’armée en Lorraine. Où l’offensive aberrante du XVème corps d’armée est un échec, dont l’un des généraux jette aux soldats : « Vous êtes bons à recevoir des balles dans le cul et à lever la crosse en l’air ! » La crosse en l’air, c’est ce qu’ils feront 3 ans plus tard…

Fin août : 80 000 morts, fin septembre 180 000, (un 11 septembre chaque jour !), à la fin de l’année 14 : déjà 300 000 morts, pour n’évoquer que les Français.

Dans la panique, et pour échapper à ses responsabilités, l’Etat Major exige des boucs-émissaires et Joffre impose au président de la République Poincaré, le 6 septembre 1914, un décret instituant les Conseils de guerre spéciaux : justice expéditive, sans délai, ni aucun recours, comme auparavant. Il faut terroriser les soldats obligés d’assister à l’exécution, puis à défiler devant les cadavres. Le scandale deviendra tel qu’ils devront être supprimés en avril 1916.

Jugez-en : Le 19 avril 1915, alors que l’attaque précédente venait de faire 600 morts, une compagnie refuse de monter à nouveau à l’assaut. Le général Delétoile exige l’exécution de 250 soldats ! On finit par se limiter à 4 seulement, 3 étant désignés parce que syndiqués à la CGT, dont Henri Prébost (le grand oncle d’un de nos camarades ici présent) fusillés pour l’exemple ! 

Le 27 novembre 1914, à Vingré dans l’Aisne, des soldats du 298ème régiment d’infanterie furent surpris par une attaque allemande qui fit plusieurs prisonniers. Les autres poilus durent se replier dans les boyaux, puis reprirent la tranchée. Sur les instances du général de Villaret, six d’entre eux furent néanmoins condamnés à mort par l’un de ces Conseils de guerre spéciaux pour aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance. Fusillés pour l’exemple !

L’un de ces fusillés pour l’exemple habitait ici, à Breteuil, où il était greffier de la justice de paix. Il se nommait Henry Floch. Voici sa dernière lettre, adressée à sa femme :

« Ma bien chère amie,

Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi : le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.

Nous sommes passés 24 hier au soir au Conseil de guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple.

Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans. Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre.

Ma petite Lucie, encore une fois, pardon. Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur. Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.

Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.

Henry Floch »

La famille fut doublement touchée par ce deuil : accusation de lâcheté, pas de pension de veuve de guerre. Selon son frère : « nous avons vécu dans une atmosphère affreuse de la suspicion illégitime et la honte injustifiée ».

Il faut imaginer ces hommes, hier maçon, boulanger, paysan, instituteur, plongés dans cet enfer. Assommés sous les bombardements, on retrouve les soldats mutiques, sourds, muets, aveugles, incapables de se redresser, hurlant, vomissant, agités de tremblements irrépressibles : C’est une maladie nouvelle : le Shell Shock, l’obusite, le stress post traumatique. « Non ! Ce sont des simulateurs !! »

639…639 soldats furent ainsi fusillés pour l’exemple, sans parler des exécutions sommaires… !

Voici plusieurs années que la Ligue des droits de l’Homme intervient publiquement avec la Fédération de la Libre Pensée sur la question toujours en suspens de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de 1914/1918.

Cette lutte pour leur réhabilitation a été portée particulièrement par la Ligue des droits de l’Homme pendant la guerre elle-même, elle s’est poursuivie avec d’autres associations dans les années 1920 et 1930. Elle a permis d’obtenir jusqu’en 1935 la réhabilitation de 50 fusillés pour l’exemple. Dont Henry Floch.

Ce combat ne peut que continuer car il reste près de 600 victimes sacrifiées par des ordres arbitraires et injustes.

Aujourd’hui, les malheurs de ces 639 fusillés font l’objet de films, d’émissions télé, de bandes dessinées, d’expositions et de nombreuses commémorations.

Comme 75% des Français, comme de nombreuses municipalités, 5 conseils régionaux, 30 conseils départementaux dont l’Eure et la Corrèze (dans l’unanimité avec son président François Hollande) se sont prononcés en faveur de la réhabilitation de tous ces fusillés.
Ce fut une promesse du candidat Hollande. Lui président…il la refuse !
Aujourd’hui 11 novembre, nous pensons à tous ces soldats victimes de l’acharnement de leurs généraux et de leurs gouvernants.

Ces généraux incompétents et inhumains, dont les noms déshonorent nos rues :

Joffre, bien au chaud dans son confortable Grand Quartier Général de Chantilly, et qui, pour justifier ses échecs, disait tranquillement : « Je les grignote ». Foch, qui consacrera l’armée française « au Sacré-CÅ“ur », mais surtout mettra en Å“uvre ses offensives meurtrières dans l’Artois et la Somme, et sera hostile après guerre à l’aviation et aux blindés.
Mangin, surnommé « le buveur de sang » et sa « Force noire », jetant en avant les Africains, « inépuisable réservoir d’hommes ».
Et sans parler de Pétain, plus prudent, mais réprimant les mutineries de 1917 et utilisant ensuite les gaz durant la guerre du Rif (et le reste….).

Non, ceux qui méritent cet honneur, ce sont ces malheureux soldats, nos grands-parents, massacrés par millions. Car j’y inclus les victimes de tous les pays : 10 millions de morts pourquoi ? Cette guerre fut un suicide pour l’Europe et le berceau de la suivante.

Ne serait-il pas juste qu’une rue, un espace public porte le nom du Caporal Floch ?

« Si la discipline militaire allemande avait égalé celle des Français, l’Allemagne aurait gagné la guerre »

Celui qui a donc regretté que sa justice militaire à lui n’ait fait fusiller pour l’exemple que 50 soldats allemands, celui-là s’appelait… Adolf Hitler (Mein Kampf)

Nos deux associations vous remercient de votre écoute.

Michel Joly

Breteuil-sur-Iton, 11 novembre 2015 – Intervention de la Ligue des droits de l’Homme

Ceci a été rappelé dans le discours commun prononcé devant le monument aux morts : les efforts conjoints des associations, principalement la Libre Pensée et la Ligue des droits de l’Homme, ont déjà permis d’obtenir la réhabilitation d’un certain nombre de fusillés pour l’exemple

Cependant, nous déplorons qu’en 2014, le centenaire officiel de ce conflit n’ait pas été l’occasion d’un acte fort vis-à-vis de tous ceux, non encore réhabilités, qui ont été victimesd’ordres arbitraires et injustes.
Avec la justice militaire, nous avions affaire à une justice d’Etat administrée en période exceptionnelle. Les fusillés ont non seulement perdu la vie mais ont été aussi déshonorés, eux et leurs familles, et l’anathème porté contre eux perdure dans les mentalités.

Peut-on continuer à dire "Pourquoi s’intéresser à ces quelques centaines d’hommes, alors qu’en une demi-journée de combat tombaient un nombre équivalent de combattants ? "... En fait, cette mort infâmante d’hommes à genoux, fusillés par leurs camarades "au nom du peuple français" interpelle l’Etat comme notre communauté nationale. Quelle que soit l’époque, l’aspiration à ce que justice soit rendue est essentielle. Ce qu’il nous faut éclaircir, c’est si l’on estime que les sentences rendues par la justice de guerre correspondent bien à l’idée que nous nous faisons de la justice.

Aucune réponse claire n’a été donnée par l’Etat à ceux qui,comme nous, se posent cette question.

La création au musée de l’Armée, à l’Hôtel national des Invalides, d’espaces consacrés à cette question doit être saluée comme une avancée. Elle va dans le sens du souhait exprimé le 5 novembre 1998 à Craonne, par le Premier ministre Lionel Jospin, qui avait demandé
que les fusillés pour l’exemple « réintègrent notre mémoire collective nationale ».

Mais cela ne répond pas à notre demande de réhabilitation de tous les soldats injustement condamnés. Avec le centenaire, et jusqu’à 2018, une nouvelle et sans doute dernière fenêtre s’est ouverte pour que soit posé un acte politique permettant la réhabilitation des fusillés pour l’exemple.

Les recherches à leur sujet doivent être poursuivies, leurs sépultures doivent être identifiées et dignement traitées, le transfert de leurs restes dans les communes dont ils étaient originaires doit contribuer à leur rendre justice.

Tel est le constat que nous dressons aujourd’hui. Il justifie pleinement la poursuite de notre engagement en faveur de la réhabilitation.

Mais il convient aussi de poursuivre le travail sur des questions occultées ou méconnues de la Grande Guerre, qui ne présentent pas seulement un intérêt pour l’Histoire mais aussi pour nos enjeux contemporains. C’est le cas notamment des civils injustement accusés d’espionnage ; celui des mutineries de 1917, qui ont affecté les deux tiers des divisions d’infanterie du front ; celui des bagnes coloniaux, des compagnies de discipline et des bataillons d’exclus, qui ont concerné des dizaines de milliers de soldats ; celui des engagés volontaires étrangers européens, victimes de traitements brutaux dans des régiments de marche de la Légion étrangère ; celui des soldats coloniaux victimes de recrutements forcés, de promesses non tenues, d’un emploi inconsidéré et d’un quasi-abandon après-guerre ; et celui de l’« importation » de dizaines de milliers d’indigènes militarisés, qui ont connu une mortalité très élevée dans les usines d’armement.

Il importe qu’un siècle plus tard, tous ceux-là « réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale ».
Je vous remercie de votre attention.

librepensee27@gmail.com louviers@ldh-france.org


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